21 novembre 2015, 22:21

L'étrange cas de...

WEDNESDAY 13


« Je vais le chercher, je crois qu’il dort ! » ne sont pas les mots les plus réconfortants à dire à un journaliste 5 minutes avant d’interviewer un musicien. Notre interlocutrice descend les escaliers en colimaçon du Divan du Monde de Paris et nous voilà plongés dans la semi-obscurité de la mezzanine, distinguant derrière la rambarde d’en face deux musiciens au teint pâle et aux cheveux hirsutes qui essayent de faire la sieste à côté d’enceintes qui braillent à plein volume une playlist metal greatest hits des années 90. Le temps de tirer deux imposants fauteuils et de les positionner face à face que surgit de la pénombre notre hôte de la soirée, les cheveux raides ornés d’un discret chapeau noir, et affichant un sourire jusqu’aux oreilles : « Enchanté ! Moi c’est Wednesday ! ». Visiblement il ne nous en veut pas de l’avoir sorti de sa sieste...
 

HOUSE BY THE CEMETERY


Wednesday 13, c’est un petit peu le frère oublié de la famille shock rock. Comparé à Rob Zombie ou Marilyn Manson, il adopte un côté punk/garage beaucoup plus poussé, mais garde le même enthousiasme à surprendre son audience avec un côté théâtral certes moins magistral que ses aînés, mais tout aussi ancré dans sa fascination pour l’horreur et la provocation. Une vocation qui n’est pas arrivée tout de suite : « Je crois que mon premier souvenir théâtral, c’était pour une pièce à l’école, j’étais très jeune, je jouais le rôle d’un écureuil, j’étais habillé en fourrure de la tête aux pieds ! Je me souviens m’être senti très mal à l’aise, ça ne me paraissait pas naturel du tout d’être sur scène » nous confie-t-il avec un sourire en coin, inimaginable quand on voit l’homme sur scène aujourd’hui, incarnant pendant 1h30 cette figure messianique scandant textes horrifiques et obscurs devant un parterre de fans totalement en transe. 
 

 
« Je n’avais pas réalisé que l’horreur et la musique pouvaient fonctionner ensemble avant de tomber sur une publicité pour un live d’Alice Cooper. » - Wednesday 13


Il aura fallu attendre ses 10 ans pour que le jeune Joseph Poole ait la révélation lors d’une kermesse d’école. « Avec des potes, on s’était déguisé en grosses rockstars avec des fausses guitares en bois que nos pères nous avaient fabriquées, on avait tous des bandanas sur la tête et on a joué en playback sur une chanson de MÖTLEY CRÜE, le public était dingue ! C’est à ce moment que j’ai réalisé que je voulais faire ça de ma vie. ». Mais voilà, là où le musicien lambda se contenterait d’apprendre la guitare devant son miroir à longueur de journée dans sa chambre tapissée de posters et de billets de concerts, Poole prend un chemin plutôt inhabituel : « Je n’avais pas réalisé que l’horreur et la musique pouvaient fonctionner ensemble avant de tomber sur une publicité pour un live d’Alice Cooper, ça a changé ma vie. Je jouais avec mes GI-Joe devant la TV et la publicité est apparue à l’écran. C’était une pub pour la tournée "The Nightmare Returns", je me souviens avoir demandé à mes parents : "Mais c’est qui elle ?" car je ne savais pas qu’Alice Cooper était un mec ! (rires) Ça a tout rendu plus intéressant pour moi, c’était tellement étrange, bizarre… J’ai tout de suite été attiré par cet univers. ». Mais qu’en pensaient ses parents ? « En fait, je crois qu’ils n’ont jamais compris ce que je faisais, au fond, je pense qu’ils m’ont toujours trouvé un peu bizarre, mais ça ne leur a jamais posé problème ! (rires) »


TILL DEATH DO US PARTY


Avec des influences pareilles, il était certain que le musicien n’allait pas fantasmer d’une carrière dans le folk rock. Très vite, il se dirige vers le style horror punk avec FRANKENSTEIN DRAG QUEENS FROM PLANET 13 en arborant un look tout aussi incompréhensible que le nom de son groupe : « Je n’ai jamais voulu être sérieux. Pour moi, tu ne peux pas me regarder et te dire : "Ce gars est sérieux ", tu vois ? (rires) Il doit y avoir de l’humour, derrière le masque il doit y avoir quelque chose de drôle. J’ai toujours regardé La Famille Adams de cette façon, ce sont des monstres, mais qui ont aussi un côté humain et drôle... ».
 


 

« Tu ne peux pas me regarder et te dire : "Ce gars est sérieux", tu vois ? (rires) » - Wednesday 13


L’humour est en effet omniprésent dans l’univers de Wednesday 13, notamment au niveau de ses paroles qui, truffées de jeux de mots, certes parfois téléphonés (« Morgue Than Words », « I Wanna Be Sedated »), voire grotesques, mais qu’importe, l’artiste reconnaît être totalement à contre-courant de la vague des groupes occultes conceptuels jusqu’au bout de leur croix renversée. « Moi, je me vois un peu comme "Beetlejuice", ça fait peur, mais ça reste avant tout du divertissement. Hier soir, au moment de monter sur scène, mon micro ne fonctionnait pas, mais ça m’a plus fait marrer qu’autre chose ! (rires) Certains groupes ne peuvent pas faire ça. J’adore GHOST par exemple, mais je ne pourrais jamais être aussi sérieux » précise-t-il.

Ce soir, tout juste 200 âmes se présenteront à ce concert de Wednesday 13 qui se produit paradoxalement de plus en plus fréquemment sur notre sol. Le profil du public est pour le moins surprenant. « C’est bizarre car c’est un mélange de plein de choses. Je vois des fans de gothique, de punk, de metal… et ma musique semble tous les rassembler. Je ne saurais pas comment l’expliquer, c’est assez unique. Ça me dépasse totalement. J’ai le sentiment que tout le monde peut venir ici sans être jugé ou montré du doigt, c’est comme un rassemblement. » Un rassemblement à l’image de la carrière de l’artiste, hétéroclite, entre projets country avec BOURBON CROW, hard-rock avec GUNFIRE 76 ou encore horror glam avec… MURDERDOLLS.


LOVE AT FIRST FRIGHT

 


 

« Aujourd’hui, personne ne pourrait remplacer MURDERDOLLS. » - Wednesday 13


« La plupart des gens me connaissent grâce à ce groupe » avoue-t-il avec la plus grande et la plus pure humilité. Le supergroupe formé en 2002 avec Joey Jordison de SLIPKNOT à la guitare a laissé une empreinte indélébile dans la carrière de Wednesday 13, même si on ne peut pas dire que le chanteur était dépaysé. Il suffit par exemple de regarder le clip de “Dead In Hollywood” pour comprendre : « Le tournage de cette vidéo était très particulier. Ça a duré toute une journée, il y avait une centaine de personnes qui s’occupait du tournage, on nous maquillait… Je me suis tout pris en pleine gueule je me suis dit : "Waah ! C’est donc ça le tournage d’un vrai clip !" C’était énorme pour moi, tous ces rêves d’être dans un groupe de rock étaient devant mes yeux. Chaque jour était une nouvelle expérience : "On fait une vidéo ! On va au Japon ! On joue devant 30 000 personnes !" Tout est arrivé super vite. J’avais 25 ans quand on a tourné ce clip, j’en ai 39 maintenant, ça commence à remonter ! » Justement, lui arrive-t-il de repenser à cette époque et à éprouver de la nostalgie ? « Oh non ! » répond-t-il fermement : « Quand j’y repense, je vois un groupe qui ne suivait aucune règle, qui ne voulait ressembler à personne. On était… nous ! Personne n’aurait pu faire la même chose, c’était un mélange tellement étrange… Qui aurait imaginé qu’un gars de SLIPKNOT puisse sortir un album de glam metal ? C’était unique, différent et j’en suis très fier. Aujourd’hui, personne ne pourrait remplacer MURDERDOLLS. ».
 


 
« Je m’impliquais à 100 % dans ce groupe et on me l’a enlevé des mains à deux reprises. » - Wednesday 13


Il est en effet bien difficile de trouver un groupe aussi improbable à la carrière aussi fulgurante. Une véritable fusée qui a… explosée en plein vol. « On avait plein de fans dans le monde entier, le groupe marchait super bien mais arrivé un moment, on nous a dit : "Stop" car SLIPKNOT devait sortir un nouvel album. Je comprenais bien sûr, car c’est un groupe aux proportions bien plus grandes que MURDERDOLLS, mais l’idée de mettre en sommeil un projet qui rencontrait un succès fou... » Il grimace, pèse ses mots… « Je n’aurais jamais cru sortir ce deuxième album en 2010 mais tu vois, il s’est passé la même chose ! Au bout d’un moment, on nous a dit : "Arrêtez tout, c’est fini !" Un groupe ne peut pas fonctionner comme ça. Donc, ouais, j’ai été déçu car je m’impliquais à 100 % dans ce groupe et on me l’a enlevé des mains à deux reprises. C’est une grande frustration, mais ce groupe a un nombre incalculable de fans et est devenu un grand nom. Il n’a juste jamais reçu l’attention et le temps nécessaire. »
 


 

« Je n’ai pas parlé à Joey depuis cinq ans. » - Wednesday 13


Quand Joey Jordison quitte SLIPKNOT en 2013 pour des raisons obscures, les fans se remettent à espérer, la non-activité de MURDERDOLLS devenait tout à coup un faux problème…  A-t-il songé à réactiver le groupe suite à cette nouvelle ? « Non, je n’ai pas essayé de le recontacter, s’il veut qu’on se reforme il viendra me voir et on verra ! Tu sais, ça s’est terminé il y a quatreans et j’en suis très heureux. Ce deuxième album m’a donné le sentiment de tourner la page, on a fini ce qu’on avait commencé. On a ouvert cette malle une nouvelle fois et on l’a refermée ! (rires) Est-ce qu’on la rouvrira ? Je ne sais pas. Je n’éprouve rien de négatif envers Joey, ce groupe ne nous appartient plus, il appartient aux fans. Je n’ai pas parlé à Joey depuis cinq ans, notre dernier concert était notre dernier concert… Fin de l’histoire. »


I AIN’T GOT TIME TO BLEED


Eternel créatif, Wednesday 13 poursuit sa carrière solo depuis maintenant dix ans et sort pratiquement un album par an. Les maisons de disques, il les connaît par cœur, c’est donc pour ça qu’il n’en n’a plus. « Je ne suis pas contre les labels, mais face à ce qu’on me proposait à l’époque, ça avait plus de sens pour moi de tout prendre en main. J’ai beaucoup appris au travers de ça. Avant, je croyais que pour avoir un groupe, il fallait avoir un label, mais j’ai prouvé que ce n’était pas vrai du tout. Mon premier album réalisé totalement par moi-même a rencontré autant de succès que s’il était sorti sur un label, ça valait le coup ! (sourire) » Vous avez-dit control freak ? Wednesday 13 en est un spécimen tout particulier, pour preuve quand un photographe s’adressera à la régie lumière avant le concert de ce soir pour connaître quels éclairages sont prévus, un technicien à l’air totalement désarmé lui répondra : « Aucune idée. C’est le chanteur qui contrôle tout ! »
 


 

« Il faut que je trouve des moyens de me renouveler car je ne veux pas tourner en rond. » - Wednesday 13


En janvier 2015 sort « Monsters Of The Universe : Come Out And Plague », un album concept totalement inattendu dans la carrière du musicien sur lequel il est question de nouvel ordre  mondial et de reptiliens illuminatis, mais n’allez pas croire qu’il s’agit ici d’une passion soudaine et passagère… « Des gens le qualifient d'album de science-fiction, mais je le trouve encore plus terrifiant que le reste de ma discographie car il parle de choses vraies. » Un changement de cap thématique nécessaire, donc.  « Je peux t’écrire un nombre incalculable de chansons sur les zombies… (sourire) Il faut que je trouve des moyens de me renouveler car je ne veux pas tourner en rond. Quand je vois certains groupes qui n’y arrivent pas, je suis là : "Pffff… Essaye ! Essaye plus fort ! Essaye au moins !" (rires) Donc ouais, j’essaye toujours d’aller plus loin, je veux me surprendre. Je ne suis jamais satisfait… la plupart du temps ! (rires) ».

Blogger : Hugo Tessier
Au sujet de l'auteur
Hugo Tessier
Décidemment né trop tard, Hugo Tessier cultive sa passion pour le rock depuis son plus jeune âge. Avec U2 et THE POLICE dans le biberon, son cœur penchera finalement pour le hard rock des eighties qui à son tour lui fera découvrir de nouveaux horizons musicaux. Tantôt étudiant, musicien puis vendeur dans les festivals rockabilly, en septembre 2011 HARD FORCE le convainc de commencer à explorer les concerts de la région nantaise à peine avait-il déballé son unique carton dans sa chambre universitaire.
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