13 mars 2018, 10:44

MARILLION

• "Brave" Edition Deluxe (2e partie : chronique d'un classique annoncé)


D'abord pensé comme un projet devant aboutir rapidement, l'enregistrement de « Brave » ne se terminera qu'au mois d'août 1993, soit neuf mois après l'arrivée du groupe au Château de Marouatte, sous la houlette du pointilleux producteur Dave Meegan, déjà présent comme assistant de Trevor Horn sur « Fugazi » (1984). Celui que Steve Rothery considère maintenant comme le sixième membre de MARILLION a supervisé chaque note du moindre enregistrement, nuit et jour, de sorte à ce que l'album ne comporte que les meilleurs riffs, les meilleures mélodies. Autant dire un travail de titan... et un travail payant ! Comptabilisant 71 minutes au compteur, « Brave » impressionne autant par son caractère abouti que par son extrême méticulosité. Sombres, oscillant sans cesse entre mélancolie et rage contenue, les morceaux donnent l'impression de ne faire qu'un, renforçant ainsi l'aspect conceptuel du disque. Il faudra attendre 2004 et cet autre chef-d'oeuvre qu'est « Marbles » pour réentendre une telle homogénéité de la part de MARILLION, c'est dire ! Mais revenons plutôt à « Brave ». S'ouvrant sur le court prélude “Bridge”, le disque retrace donc le parcours pour le moins troublé d'une adolescente sur le point de commettre l'irréparable. Sirènes de navires et nappes de synthétiseur s'entremêlent lors de cette introduction censée se dérouler sur un pont, lieu symbolique du début mais aussi de la fin de l'histoire...

Dès lors, Hogarth va être la voix des trois personnages de « Brave » : l'héroïne principale, son amant et le narrateur. Et parlons-en de cette voix ! Fragile, à la limite de la rupture lors des passages les plus violents, elle est indéniablement l'un des points forts de l'album. Un album qui eût sans doute été moins intense, aussi, sans les qualités d'écriture du chanteur qui, s'identifiant à l'adolescente, en profite pour régler ses comptes à une société construite sur les faux-semblants. C'est le thème de “Living with the Big Lie”, chanson-ode à la rebellion qui décrit l'incapacité de la jeune fille à s'habituer au monde qui l'entoure, semblable à un miroir aux alouettes. Un thème récurrent d'ailleurs puisque “Paper Lies” traite des médias et du mensonge érigé en profession de foi. Ainsi, la soif d'absolu exprimée par l'héroïne se mue-t-elle en critique d'une méthode d'ingénierie sociale mise en exergue par la théorie du consentement de Bernays. Un sujet plus que jamais d'actualité et qui rapproche « Brave » d'un concept album comme « The Wall », tant la profondeur de ses textes sublime un contenu musical déjà riche. Poésie et engagement ne font qu'un sur un disque qui fait plus que rassurer les fans sur la bonne santé du groupe...

“Runaway” décrit la confrontation entre l'héroïne et sa famille, incrédule face à son mal de vivre, avant que l'adolescente ne dépeigne sa déchéance suite à sa fugue dans les cinq parties qui constituent le morceau “Goodbye to all That”. Un tourbillon émotionnel figuré par une musique qui tient alors du grand huit puisqu'elle passe d'une pièce essentiellement basée sur les ambiances (notons que les cinq musiciens seront même allés jusqu'à enregistrer tous les bruits environnants dans le château qui leur a servi de studio !) au titre suivant, “Hard as Love”, aussi dur que l'amour si l'on en croit son titre, avec ses déferlements de guitare et d'orgue Hammond ! La chanson “The Hollow Man”, tout en retenue, calme le jeu avant que “Alone Again in the Lap of Luxury”, traitant du confort matériel et du rôle qu'il joue dans le vide spirituel de notre époque, n'entre à nouveau dans les rails d'un rock tendu. Des breaks nerveux, une basse bavarde et un refrain entêtant constituent l'essentiel d'un titre qui sera choisi comme troisième single après “The Great Escape” et “The Hollow Man”. “Paper Lies” et “Brave” (dont l'intensité dramatique est renforcée par d'inquiétantes cornemuses) nous emmènent vers la fin de l'histoire, que l'on devine sombre... A raison ?



​La bravoure de l'adolescente, qui a tenu jusqu'ici face un monde malade de ses propres excès, va-t-elle laisser place à l'abandon total ? Sur l'avant-dernier acte, “The Great Escape”, nous la retrouvons seule sur le pont. Ce pont où a débuté « Brave ». “The Great Escape” – si l'on ne devait retenir qu'un morceau, ce serait indéniablement celui-ci ! – nous donne finalement peu de réponses. L'acte en deux pièces (“The Last of You” et “Falling from the Moon”) laisse à penser que l'héroïne retient ses pulsions suicidaires avant de finalement commettre l'irréparable. Mais le lumineux final “Made Again” intervient comme contrepoint à un « Brave » jusque-là noir comme la nuit. Et si les "You're Holdin' on" clamés par la voix étranglée d'H sur “The Last of You” nous font comprendre que le désespoir a poussé une fille à "tomber de la Lune", le disque se termine sur une note particulièrement optimiste avec ce morceau acoustique. En fin de compte, peut-être s'est-elle à nouveau ouverte au monde et à ses proches ? La fin ouverte de « Brave » sera l'occasion pour MARILLION de sortir un double vinyle "double groove" avec une fin heureuse comprenant “Made Again”, et une fin dramatique avec “The Great Escape (Spiral Remake)” – que l'on retrouvera sur le second CD du remaster de 1998 – suivie par 7 minutes d'un enregistrement d'eau qui coule.
L'album, qui se classera dixième du UK Album Chart (c'est la dernière fois que MARILLION entrera dans le Top Ten britannique), servira un an après sa sortie de support à un film réalisé par Richard Stanley, sans grand succès toutefois. Le fait qu'une édition Deluxe soit sortie le 9 mars 2018 est pourtant la preuve qu'un chef-d'œuvre intemporel était bien né de sessions surréalistes dans un château hanté !

A suivre...

Part 1 : La Genèse
Part 3 : Une Luxueuse Renaissance

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KillMunster est né avec le metal dans le sang. La légende raconte que quand Deep Purple s'est mis à rechercher un remplaçant à Ian Gillan, le groupe, impressionné par son premier cri, faillit l'embaucher. Avant finalement de se reporter sur David Coverdale, un poil plus expérimenté. Par la suite, il peaufina son éducation grâce à ses Brothers of Metal et, entre deux visionnages d'épisodes de la série "Goldorak", un héros très "métal" lui aussi, il s’époumona sur Motörhead, Lynyrd Skynyrd, Black Sabbath et de nombreux autres ténors des magiques années 70. Pour lui, les années 80 passèrent à la vitesse de l'éclair, et plus précisément de celui ornant la pochette d'un célèbre album de Metallica (une pierre angulaire du rock dur à ses yeux) avant d'arriver dans les années 90 et d'offrir ses esgourdes à de drôles de chevelus arrivant tout droit de Seattle. Nous voilà maintenant en 2016 (oui, le temps passe vite !), KillMunster, désormais heureux membre de Hard Force, livre ses impressions sur le plus grand portail metal de l'Hexagone. Aboutissement logique d'une passion longuement cultivée...
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