Grunge is NOT dead ! Non, le grunge n’est pas mort, comme en témoigne le retour tant attendu d’ALICE IN CHAINS, l’un des derniers groupes de Seattle encore en activité, cinq ans après son dernier album « The Devil Puts Dinosaurs Here ». Il revient en force et cet album, « Rainier Fog », produit par Nick Raskulinecz, en est la preuve, un album somptueux, où l’on retrouve tout le génie et le style inimitable qui a fait le succès d’ALICE IN CHAINS par le passé, ainsi qu’une bonne dose de modernité apportée par la présence solaire et charismatique de William DuVall.
Les racines sont encore là et le CD démarre fort avec "The One You Know" et son riff de guitare bien gras, un titre écrit par Jerry Cantrell après la mort de David Bowie. C’est lourd, sombre, puissant, glauque à souhait et cependant illuminé par ce qui fait la marque de fabrique du groupe depuis ses débuts : les deux lignes vocales, harmoniques et complémentaires, assurées par Jerry Cantrell et feu Layne Staley jusqu’au décès de ce dernier en 2002, et depuis maintenant plus de dix ans par William DuVall. "Rainier Fog", qui donne son nom à l’album, fait référence au Mont Rainier qui domine la ville de Seattle et rend hommage aux groupes et personnalités qui ont participé à l’émergence du grunge au début des années 90. C’est un morceau au rythme plus enlevé, au même titre que "Never Fade", par rapport au reste de l’album qui offre des compositions mid-tempo, heavy et pesantes. Une chanson empreinte de lumière qui donne envie de regarder au loin la vie à venir.
ALICE IN CHAINS a évolué et grandi avec ses blessures, s’est construit sur des bases boueuses, douloureuses, instables et un peu sordides. Mais ce passé a forgé son caractère et le groupe en ressort plus fort et lumineux qu’auparavant. Tout en réussissant à exprimer à travers sa musique le mal-être de toute une génération. Les solos de guitares de Jerry Cantrell sont ciselés finement, comme dans "Red Giant", et la section rythmique assurée par Mike Inez à la basse et Sean Kinney à la batterie est impeccablement carrée et puissante. La mélancolie sera toujours présente dans la musique d’ALICE IN CHAINS, bien sûr, mais elle devient une douce mélancolie, moins dépressive qu’elle a pu l’être. A l’image de "Fly", qui donne l’envie de déployer ses ailes pour s’envoler au-dessus des nuages du quotidien.
"Drone" est, à l’opposé, un titre lourd tout comme "Deaf Ears Blind Eyes", teintés de l’empreinte de BLACK SABBATH. On y ressent fortement la présence de Layne Staley tant les voix font penser au dernier album composé avec le défunt chanteur. Est-ce parce qu’une partie de ce CD a été enregistrée au Studio X de Seattle, précédemment nommé les Bad Animals Studios, dans lequel le groupe avait enregistré le troisième et dernier album, « Alice In Chains » (Tripode, pour les habitués, dû à la photo de couverture représentant un chien à trois pattes) avec leur premier chanteur ? Une sorte de vibration bienveillante pour ce troisième album avec William DuVall. Loin d’être tourné vers le passé, ALICE IN CHAINS nous renvoie une image de notre présent à travers sa présence. Un présent empli de belles choses, mais aussi d’horreur absolue. Le blanc et le noir, le Yin et le Yang, la douceur et la violence, l’amour et la haine. Tout ce qui compose la vie, avec ce qu’elle comprend de beauté et de laideur. On retrouve la même opposition dans les deux chansons suivantes, "Maybe" et "So Far Under". La première apportant de la légèreté et la seconde de la pesanteur. Le couple inséparable de la lumière et de l’ombre, l’un ne pouvant pas être sans l’autre.
Puis viennent les deux perles de ce CD : "Never Fade", dont les paroles ont été écrites par William DuVall et la musique par Jerry Cantrell, chantée à deux voix, lumineuse et pleine de vie. Un regard sur l’à venir, malgré les disparitions consécutives de Chris Cornell et la grand-mère de William qui ont inspirées le texte. Ne jamais oublier mais apprendre à vivre sans la présence des êtres chers. Une chanson sublime avec ses mélodies vocales et ses guitares aériennes. L’album se termine sur "All I Am", le titre le plus long du disque, qui dépasse les 7 minutes et pourtant, on ne s’en rend compte tant cette chanson est de toute beauté. Mélodie planante, épique et émotionnelle, c’est le point culminant de cet album, comme le sommet du Mont Rainier que l’on voit sur la pochette. Une montagne, avec un œil en son centre, comme une vision sur l’intérieur, et pourtant tournée vers l’extérieur, à l’image de la silhouette que l’on aperçoit au centre de l’œil. La puissance dramatique qui se dégage de ce dernier titre est magique, laissant deviner une vision toute personnelle d’un groupe au sommet de son art, ayant atteint la maturité nécessaire pour commencer à toucher les étoiles.
« Rainier Fog » est un album plus direct que ses prédécesseurs, qui démontre qu'ALICE IN CHAINS est et restera à jamais un groupe inclassable, ayant su s’approprier des influences multiples, allant du blues au punk, au hard rock au metal, en passant par la country et le folk ainsi que le côté épique et psychédélique des années 70. ALICE IN CHAINS a créé son style, sa musique et le son qui lui est propre, et l’émotion à fleur de peau qui se dégage de cette nouvelle production est palpable, électrisante. Ne reste plus qu’à espérer les revoir lors d’une tournée qui aurait la bonne idée de s’arrêter dans nos contrées. Leur présence rare est d’autant plus précieuse que leurs prestations scéniques sont d’une justesse absolue, tant au point de vue musical qu’émotionnel. Les chansons de cet album méritent de vivre et de grandir plus encore sur scène, pour s’approcher des étoiles.