7 mois. C’est la durée entre mon dernier concert et ce soir. Entre temps s’est abattu le rideau impitoyable du Covidalypse qui a gelé toute activité artistique en live. Un drame pour les professions du divertissement. La Laiterie de Strasbourg est parvenue à organiser son premier concert de metal, tout en respectant les conditions de mesures sanitaires en vigueur. Loués soient les organisateurs de ces soirées qui font figure de résistance face à la morosité installée. En plus de la curiosité sociologique que représente un tel événement, j’apprends que le groupe programmé est REGARDE LES HOMMES TOMBER, un grand nom du post-black metal. Je décide donc de m’y précipiter.
En arrivant je constate que toutes les précautions ont été prises. Nous sommes quelques centaines, mais un balisage bien pensé nous permet de circuler intelligemment sans se croiser. Une flèche jaune nous mène à un bar à la carte restreinte (je ne peux pas profiter des excellents sandwichs du patron), des sièges barrés pour instaurer la distance de sécurité, une entrée dans la salle par l’arrière et une sortie par l’avant. L’ambiance est bonne enfant, tout le monde respecte les consignes et gestes barrières.
20h30, place au concert. Pas de première partie, hormis "And Hydroalcoolic Gel For All" qui nous tend les mains à chaque coin de table. Assis dans le noir, masque sur le museau, nous voyons REGARDE LES HOMMES TOMBER investir une scène aux allures d’Eglise païenne. Le quintette est une des valeurs sûres de la scène metal française, il rassemble autant les fans de metal extrême que ceux qui ont des sensibilités plus progressives et atmosphériques, cela se voit dans l’échantillon de fans présents et qui dégustent sentencieusement des premières notes de guitares écorchées jetées en offrande par J.J.S. et A.M. Progressivement la tension monte crescendo, jusqu’à l’arrivée du fantomatique hurleur Thomas. C’est une ambiance de communion religieuse exaltée qui s’installe parmi les chandeliers allumés.
Comme beaucoup de groupes affectés par la pandémie, REGARDE LES HOMMES TOMBER n’a pas encore pu défendre sur scène son dernier disque, « Ascension », sorti le 28 février 2020. Ce soir l’occasion nous est donnée de l’apprécier. D’emblée les titres "L’Ascension", "A New Order" et "The Renegade Son" sont exécutés. Leurs sons sont aussi soignés que leur style est extrême. Des riffs qui s'énervent, montent et retombent brusquement, au gré d'une voix sépulcrale. Du post-black metal accouchant d’une créature, mi Bête, mi Belle, à la beauté cruelle. Sans doute parmi ce qui se fait de mieux dans le genre depuis 20 ans. Pour ce troisième album les titres gagnent une dimension aérienne plus poussée, c’est moins brut... ou brute ? Les blasts sont du coup d’autant plus déstabilisants quand ils surgissent, comme pendant "A New Order". Liturgie de la souffrance, Thomas, dans ce décor électrique abyssal noir et blanc, nous offre "50 nuances de cris". Les musiciens sont maîtres de la scène, virtuoses des sons extrêmes, de la rythmique tribale et des envolées lugubrement magiques. Quand on pense que 7 ans seulement les séparent de leurs débuts, l'album éponyme en 2013, on peut parler d’une sacrée "Ascension".
Au milieu de ce set de 8 titres REGARDE LES HOMMES TOMBER exécute 3 compositions de l’excellent album précédent « Exile ». Sur leurs chaises les fans oscillent et headbanguent furieusement, les métalleux plus forts que le COVID ? "A Sheep Among The Wolves" et "The Incandescent March" sont des monolithes sonores, qui bercent les spectateurs d’un plaisir langoureux.
Le sombre bouquet final arrive avec "The Crowning", puis l’éblouissant "Au Bord du Gouffre", rouleau compresseur qui fait déferler une charge furieuse sur nos visages fascinés. Nouvelle preuve s’il en est, de l’excellence du dernier album.
Après une heure et quart d’un set à la puissance incommensurable nous peinons à nous décoller de nos sièges. Contre toute attente, j’en suis le premier surpris, ce fut une excellente soirée dans des conditions bien étranges. Après des mois d’isolement musical nous nous sommes délectés, et tous ont joué le jeu des mesures sanitaires, pas un seul masque ne fut oublié par terre, aucune bise ne fut échangée par les participants, et hélas, aucun médiator ne fut jeté au public.
Assis, nous avons regardé les hommes jouer...