4 juin 2023, 10:38

BLACK SABBATH

"Live Evil" [40th anniversary super deluxe]

Album : Live Evil

Évidemment « Live Evil » est-il l’un des albums en concert les plus mythiques de l’histoire du heavy metal, et s’inscrit-il au même niveau qu’un « No Sleep Till Hammersmith », qu’un « Live After Death » ou qu’un « Strangers In The Night » comme couronnement de la carrière d’un groupe, au firmament de son Âge d’Or, et comme mètre-étalon de sa popularité auprès de toute une génération d’adolescents ici davantage concernée par l’ère, contemporaine, de Dio que par celle du SABBATH d’Ozzy, déjà datée pour les kids des années 80, massivement séduits par un indiscutable renouveau.

Mais on va être franc. Doublement, voire triplement franc même.

Tout d’abord, ce live, même si je l’ai écouté mille fois depuis 35 ans que je suis un fanatique de BLACK SABBATH (et donc, faites vos calculs, depuis une époque où être fan de SABBATH n’était pas COOL DU TOUT), m’est toujours apparu comme relativement terne, trop distant, avec une production sans grand relief et une absence notable du public en réponse à l’évidente maestria forcément délivrée avec panache par les trois anglais et leur compagnon américain sur les planches au cours de cette tournée de dix mois, entre novembre 1981 et août 1982. S’il existe donc d’autres documents du ''Mob Rules Tour'', bien plus efficaces, celui qui en fait office d’anthologie et de vitrine définitive n’a jamais correspondu, à mes oreilles, à la représentation que je me faisais de la puissance, de la noirceur, de la lourdeur et des envolées épiques de BLACK SABBATH avec Ronnie James Dio, même si ce caractère théâtral et la grandiloquence conjuguée de ses interprétations, parfaites, sont d’évidence les points forts de ce témoignage, paru alors que le groupe était une fois de plus en pleine disgrâce. En effet, tout début 1983, lorsque « Live Evil » arrive dans les bacs, cela fait quelques mois que Ronnie s’est fait la malle en emmenant avec lui Vinny (Appice, le batteur qui a lui-même remplacé Bill Ward), et travaille déjà à la construction de sa carrière solo, en patron totalitaire – après avoir été à la bonne école Ritchie Blackmore chez RAINBOW. BLACK SABBATH s’est donc déjà séparé de son troisième chanteur officiel en cinq ans (si l’on compte l’intermède de quelques mois avec Dave Walker fin 1977), Tony Iommi et Geezer Butler n’ayant guère supporté que le chanteur, à peine CDI-sé depuis moins de trois ans, prenne l’ascendant sur certaines décisions, notamment artistiques. La légende et les rumeurs persistent encore à raconter qu’en studio, Dio venait, en pleine nuit et dans le dos des autres, relever ses niveaux sur la table de mixage lors de la production de ce seul et ultime live (alors que les notes explicatives tendraient à ''prouver'' ici que le coupable n’était autre que leur ingénieur du son, alcoolique et fauteur de trouble – qui a peut-être d’ailleurs bon dos pour permettre à d’autres de réécrire l’histoire). 

Et donc, quarante ans plus tard, bien après, d’ailleurs, une poignée d’autres lives remarquables sortis au cours de la troisième ère Dio de BLACK SABBATH (l’arborescence du groupe est aussi simple à retracer que l’interaction entre les personnages des Feux de l’Amour depuis plusieurs décennies – les passions étant peu ou prou identiques) sous le nom de HEAVEN AND HELL avant sa disparition en 2010, le label BMG poursuit sa campagne de rééditions du groupe, sans qu’il n’y ait de cohésion chronologique. Mais peu importe, la date anniversaire était à honorer. Là où les séries de box-sets de METALLICA ou de LED ZEPPELIN, définitives et sublimes, sont sorties dans l’ordre, celles de l’ère Ozzy, certes très qualitatives (et pour l’heure de seulement quatre albums sur huit), sont parues sur le marché en dépit du bon sens – mais peu importe aussi, le contenu était très à la hauteur de nos attentes de fans complétistes : oui, il y avait là-dedans, pour chacune d’entre elles, largement de quoi se payer une petite danse de St Vitus, pour une farandole d’ivresse et de bonheur.

Hic : à l’annonce de cette box de « Live Evil », répondant pourtant aux standards de taille et de poids des précédentes, aucun bonus en vue. Les gourmands habitués aux rééditions XL du « Strangers In The Night » de U.F.O. justement, au « Live At The Fillmore » de HUMBLE PIE ou donc à l’exemplaire « Live And Dangerous » de THIN LIZZY (huit shows différents répartis sur huit disques), auraient bien souhaité eux aussi avoir en leur possession les enregistrements intégraux de toutes ces soirées officiellement captées entre avril et mai 1982, puisque l’on sait que « Live Evil » a été assemblé avec les bandes de quatre (voire même cinq) sources différentes. D’ailleurs, à ce propos : le « Mob Rules » ressorti en 2022 en version double CD/LP (et dont les bonus lives ont été bizarrement remaniés par rapport à l’édition antérieure proposée par Universal Music en 2010), compte lui aussi un live intégral capté à Portland le 22 avril 1982, exactement au beau milieu de ces dates connues et exploitées. Et d’ailleurs, celui de Londres un peu plus tôt (des nuits des 31 décembre 1981 et 2 janvier 1982 à l’Hammersmith Odeon), sans aucune cohérence temporelle, avait été catapulté en deux parties distinctes à cheval sur « Heaven And Hell » et sur son successeur - avec son track-listing allégé des morceaux de l’ère Osbourne (et même, d’ailleurs... du morceau ''Heaven And Hell'') : what the fuck ?? Pour de tels monuments de l’histoire du heavy metal, les parties concernées auraient pu déployer des objets au moins aussi spectaculaires en terme de bonus que celui proposé pour le dernier en date, ce Technical Ecstasy sous-estimé qui n’en demandait pas tant – et tous ces différents shows de la tournée auraient dû être à leur place ici.

Fin de l’aparté – mais le message est clair : si au fil des décennies le catalogue BLACK SABBATH a été récupéré de labels en labels (là, le fil rouge ce n’est plus Les Feux de l’Amour mais les fusions-acquisitions de Vivendi ou Boloré) avec des campagnes de rééditions renouvelées et plus ou moins augmentées, au moins peut-on affirmer que les dernières, opérées par BMG, non exemptes des remarques mentionnées, sont cependant magnifiques, classieuses, et d’un rapport qualité prix fort honorable, eut égard au marché des coffrets de luxe habituellement destinés aux CSP++. 

Sauf que sur le papier donc, à la lecture de l’argumentaire promotionnel, ce « Live Evil » v2.0 ne présentait rien de tel, pas de concerts additionnels, pas de DVD, encore moins de Blu-ray d’archives, rien de véritablement inédit pour justifier la commercialisation d’une telle BOX – à l’exception d’un book d’une quarantaine de pages dans la lignée des précédents (et donc riche en iconographie), d’un poster super moche, et d’une heureuse reproduction du programme de la tournée... et surtout, surtout, SURTOUT : du fameux live REMIXÉ. Non seulement celui-ci est-il disponible en version remasterisée (mais qui ne présente guère d’intérêt par rapport aux éditions précédentes), mais il a donc SURTOUT été repensé, et ainsi minutieusement remixé, à partir des bandes analogiques de ces cinq concerts du printemps 1982 – à Seattle (deux nuits), Dallas, San Antonio et Fresno que l’on ignorait. En soit une sorte de révisionnisme opéré depuis la console d’un studio, mais dans le seul but de rendre ce « Live Evil » plus fort et magistral qu’il ne l’était déjà aux yeux et aux oreilles de ses inconditionnels. Et pour les plus mesurés comme moi, de faire enfin de ce disque culte probablement le meilleur enregistrement en concert de toute la carrière de BLACK SABBATH, oui, même loin devant la régalade « Reunion » du concert de novembre 1997, ou le « The End - Live In Birmingham » du tout dernier show ever en février 2017 – c’est dire !!! Le producteur responsable d’une telle prouesse technologique s’appelle Wyn Davis, et est surtout connu des experts pour avoir supervisé l’enregistrement des lives déjà évoqués de HEAVEN AND HELL, ainsi qu’une partie de la restauration du tout aussi mythique « Holy Diver » de DIO (en-dehors du remix de l’album signé par son confrère Joe Barresi), ressorti en coffret chez Rhino l’an dernier.

Alors voilà : ceux qui comme moi ont pu jouir de l’expérience live de HEAVEN AND HELL, notamment en 2007 entre les murs boisés de l’Auditorium Stravinsky à l’occasion du Festival de Montreux – et donc avec une acoustique parfaite –, eh bien le rendu de ce « Live Evil » version 2023 est du même acabit, et donc indispensable, le son étant ici aussi colossal que vintage, chaque instrument étant parfaitement équilibré dans le spectre sonore, avec une puissance d’attaque aussi redoutable qui si vous étiez devant la scène là, maintenant, tout de suite – et avec le charme en plus de cette époque incroyable où le groupe jouissait encore de toute sa mystique.

Mystique et théâtralité donc : même si les antiques morceaux du SABBATH d’Ozzy s’avèrent radicalement différents de ceux de son successeur, Ronnie se les approprie avec beaucoup d’emphase, particulièrement sur ce ''Black Sabbath'' au lyrisme et à la diction différents, mais qui conserve et magnifie toute sa puissance évocatrice, tout comme sur ce ''Children Of The Grave'' final qui rendra les auditeurs exsangues. Que dire de plus à propos des classiques extraits des deux albums « Heaven And Hell » et « Mob Rules » : leurs interprétations sont ici à couper le souffle, d’une robustesse redoutable (''Neon Knights'' en ouverture est autant un uppercut) et d’une maîtrise totale – mais ça nous en étions convaincus depuis le début. Réécoutez donc cet incroyable ''Children Of The Sea'', ou encore cette version à rallonge du tout aussi majestueux ''Heaven And Hell'' qui s’articule sur près de vingt minutes en incorporant ''The Sign Of The Southern Cross'' comme un medley épique, plein de Grâce, pinacle définitif de ce que ces messieurs Iommi, Butler, Appice et Dio ont pu accomplir ensemble malgré leurs frictions.

Contre toute attente et malgré les premières réticences, légitimes et largement étayées ici, c’est sans conteste LA réédition de l’année – à moins que dans sa logique marketing qui n’appartient qu’à elle, la maison de disques se fende pour Noël d’une grosse surprise pour célébrer un nouvel anniversaire de taille : celui des 50 ans de « Sabbath Bloody Sabbath ».

Et nous, bêtement, on y croit fort.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK