29 août 2023, 20:20

EXTREME + LIVING COLOUR

@ Seattle (The Showbox)

Il a plu en rideau toute la journée, une pluie virile et drue comme ce coin des Etats-Unis sait en produire, mais une accalmie permet à une file disciplinée de serpenter calmement le long du trottoir au coin de Pike et 1st Avenue.

À moins de cent mètres du Public Market, ce marché touristique qui marque le centre de la Seattle, le ShowBox est une petite salle mythique d’un peu plus de 1000 places, ouverte avant la Seconde Guerre mondiale, qui a vu défiler toutes les vagues et espoirs musicaux depuis, y compris les régionaux de l’étape, MUDHONEY, SOUNDGARDEN et PEARL JAM, qui sont venus s’y faire les dents. 

Dans la foule, le poivre et sel bataille le dégarni, mais pour le reste, on est loin d’âge tendre et tête de bois : chemises à carreaux, casquette et barbe négligée West Coast sont de rigueur. Au pifomètre, on aperçoit deux tee-shirts METALLICA, 1 PANTERA pour… 25 North Face et 32 Columbia.

EXTREME à Seattle ?  Il y a 30 ans, cela ressemblait au mariage de la carpe et du lapin. Il aurait fallu payer cher un grunge dur à cuire pour aller voir ce cocktail de metal, funk, pop, envolées guitaristiques et ballades sucrées-salées. Mais l’eau du Puget Sound a coulé sous les ponts de Seattle, les épreuves du temps ont posé une patine de respectabilité sur les Bostoniens, et les guéguerres de clocher paraissent futiles et anciennes. Et puis, la ville du grunge s’est boboïsée fissa fissa ces dernières années, laissant le cœur du centre-ville et ses backs alleys qui fleurent bon la beuh et des relents de pisse à des itinérants perchés, accros à des drogues dures. Un gouffre social s’est ouvert, béant, entre d’un côté les développements immobiliers friqués de la nouvelle économie locale, les projets des Amazon, Microsoft, Starbucks, Expedia et les laissés pour compte de la société américaine de l’autre.

Il faut près de 3 heures pour descendre de Vancouver à Seattle. En conduisant me revient un refrain de Jane Birkin, que je modifie à peine… " Ex-fan des nineties, où sont tes années folles ? Que sont devenues toutes tes idoles ? ". Pour la petite baby doll, on repassera. Mais je réalise que la dernière fois que j’ai vu EXTREME, ou LIVING COLOUR, dans les deux cas au Zénith de Paris, Mitterrand était président. Posé comme ça, ça donne le tournis.  Et comme un jeu de miroir, miroir, les revoir remue les souvenirs, apporte son lot de craintes nostalgiques. J’espère que ces petites bouchées de madeleines de Proust ne sont pas rances, cela gâcherait un peu le goût de mes plaisirs.


​Ce n’est pas une surprise, LIVING COLOUR est plus qu'un faire-valoir, et ce partage d'affiche apporte d’ailleurs à Nuno l'occasion de faire une boutade de bon aloi : alors qu'il remercie chaleureusement les New Yorkais, il insiste sur le fait qu'EXTREME leur a demandé de lever le pied pour ne pas leur faire trop d'ombre... L'idée n'est pas folle, tant LIVING COLOUR habite la scène avec charisme, talent et décontraction. La setlist est dense, avec des classiques époque « Vivid » en tête (« Cult Of Personality », « Glamour Boys », « Funny Vibes », « Middle Man ») saupoudrés de reprises judicieuses : « Rock’n’Roll » pour ouvrir les débats, puis un « Nothing Compares 2 U », touchant, quelque part entre la version Prince, et Sinead O’Connor, où Vernon Reid se laisse aller, tricotant calmement sur des sons clairs. La voix de Corey Glover y est tout simplement parfaite, inchangée, claire et puissante. Il terminera par un "Should I Stay or Should I Go" en s’offrant un tour de salle complet, micro-à-la-main mon cousin. Ces nombreux clins d'œil apportent à cette préchauffe un côté festif, de célébration, de la part d’un groupe qui n’en est pas à son premier barbecue. Dernier détour, le groupe souligne les 50 ans du rap, et propose un medley avec des bouts de SUGARHILL et GRANDMASTER FLASH. On apprend au passage (moi en tout cas) que Doug Wimbish a justement collaboré sur ces titres. Décidément, ils n’ont plus rien à prouver.


EXTREME monte sur scène à 21h30, autant dire très tard selon les standards locaux (ici, on soupe à 17h30 et on se couche avec les poules). Le groupe boucle sa tournée nord-américaine devant une petite salle, certes, mais comble, et a envie de finir en beauté. Nuno prend en charge le rôle de MC pour faire un brin de jasette entre les titres. Il réitérera tout au long de la soirée le bonheur qu’on sent non feint pour le groupe d’être toujours là, d’apprécier chaque seconde de ce nouveau tour de piste aussi imprévu que précieux, après qu’ils se soient éparpillés dans des projets.


Le set est serré, entre les classiques de « Pornograffitti » et les extraits de « Six » qui sont taillés pour la scène (#REBEL/ BANSHEE/RISE). EXTREME est en forme musicale et physique ; l’attèle au genou de Nuno suite à sa petite intervention chirurgicale ne semble pas trop le limiter dans son expression scénique. L’essentiel est ailleurs, d’ailleurs : s’il reçoit le crédit qui lui est dû depuis la sortie de « Six », et l’emballement de YouTube - rapport au solo de « Rise » - ce n’est que justice. Peut-on à présent oser le désigner officiellement comme le digne successeur d’Eddie ? Comme Brian May (ou Michel Sardou pour d’autres raisons), je suis pour : même un bleu-bite ou ma grand-mère ne peut qu’être sur le cul devant une maestria pareille, un son si reconnaissable, des riffs incendiaires, des soli stratosphériques ou ses grooves imparables. Pat tient sa place, prenant même quelques tours de chant et Kevin fait tourner la boutique sans trop tirer la couverture à lui, et c’est bien ce qu’on lui demande. Quant à Gary (né en 1961), son régime d’entrainement paie, car il est dans une condition physique fantastique, habite la scène avec intensité, et sa voix est au diapason de 1991 dans environ 97% des cas.


« More Than Words » ne donne pas l’impression d’une corvée, ou d’un morceau dont le groupe souhaiterait se distancier comme c’est souvent le cas avec des succès qui deviennent encombrants. Au contraire, Nuno et Gary savourent, font durer le plaisir et la salle chante juste pour une forme de communion moderne, devant une forêt de smartphones.

Seules petites fautes de goût, car il faut bien mégoter un brin, la présence non impérieuse mais justifiable par le besoin de "couvrir toutes les époques" de certains titres comme « Take Us Alive », qui même avec sa référence Elvis The Pelvis ne passe pas le cap, « Hip Today » et « Cupid's Dead", pas impérissables, qui laissent surtout le temps aux locaux de filer reprendre une pinte d'IPA ou d'aller reluquer le « merch’ ».
Gary n’a pas pipé mot de la soirée. Peut-être est-ce mieux ainsi ? Me revient en tête un souvenir de la soirée au Zénith en 1991 : alors que le public scandait le nom du groupe, il s’était tourné, hilare, vers Nuno, pour lui glisser : « You see, Nuno, they’ve got a different word for everything ». Comprendre : les fans parisiens prononçaient bien « EXTREME » comme « extrême », à la française, et non « Extriiiiime » comme des Américains. J’avais trouvé ça un peu con et condescendant.
Fallait que je le dise... même 30 ans plus tard.

  
© Julien Capraro

Set-list :
LIVING COLOUR
Rock and Roll
Leave It Alone
Middle Man
Funny Vibe
Nothing Compares 2 U
Time's Up
Glamour Boys
White Lines (Don't Don't Do It) / Apache / The Message Ignorance Is Bliss
Cult of Personality
Should I Stay or Should I Go

EXTREME
It ('s a Monster)
Decadence Dance
#REBEL
Rest in Peace
Hip Today
Teacher's Pet / Flesh 'n' Blood / Wind Me Up / Kid Ego
(Intro - We Will Rock You) Play With Me
Tragic Comic
Hole Hearted
OTHER SIDE OF THE RAINBOW
Cupid's Dead
Guitar Solo
Am I Ever Gonna Change
Midnight Express
HURRICANE
More Than Words
(Intro - Fat Bottomed Girl) BANSHEE
Take Us Alive / That's All Right
Flight of the Wounded Bumblebee
Get the Funk Out
Rappel : SMALL TOWN BEAUTIFUL / Song for Love
RISE

 

Blogger : Julien Capraro
Au sujet de l'auteur
Julien Capraro
Activiste forcené de la dream-team HARD FORCE à partir de 1997, Julien Capraro a réalisé des interviews majeures et couvert de nombreux reportages en France et à l'étranger. Il a fait partie du noyau dur de l'équipe rédactionnelle jusqu'en 2000. Il vit aujourd'hui sur la côte ouest du Canada.
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