19 septembre 2023, 17:29

BECK, BOGERT & APPICE

"Live In Japan 1973" & "Live In London 1974"

Album : Live In Japan 1973 & Live In London 1974

Ladies & Gentlemen, il s’agit là, très vraisemblablement, d’un des meilleurs lives de l’histoire du rock, de tous les temps. Mais ça vous ne le saviez peut-être pas encore.

Un seul live d’un supergroupe super éphémère, publié en 1973 au Japon seulement – et parfois réédité au fil des ans dans ces lointaines contrées orientales. Oh, bien sûr qu’il existe l’import : mais hélas cette rareté n’a fait, au mieux, de ce double album en concert qu’une anecdote confidentielle qui n’a guère ponctué la grande frise temporelle du rock’n’roll avec l’éclat qu’il mérite.

Enfin un responsable marketing s’est-il penché sur l’histoire, comme nous, rares esthètes, et a-t-il décidé de tout mettre en œuvre pour réhabiliter l’affaire. Si possible en mode deluxe, expanded, et signature Rhino.

Flashback.

C’était juste avant l’été 1990, si ma mémoire est bonne : Francis Zégut avait préparé un Wango Tango spécial reprises, et je l’avais alors, spontanément, intégralement enregistré sur une TDK 90. Et je me souviens avec une précision déconcertante de l’ordre et des titres choisis pour sa playlist du soir : parmi les Gary Moore, OVERKILL, MÖTLEY CRÜE, TWISTED SISTER ou KICK AXE qui reprenaient tour à tour FREE, AC/DC, les BEATLES, THE SHANGRI-LAS ou Joe Cocker, il y avait ce truc, live, qui a littéralement scotché sur place le gamin de quinze ans que j’étais alors. Annoncé comme une cover de Stevie Wonder, le "Superstition" de BECK, BOGERT & APPICE était alors d’une force, d’un groove, d’une dextérité, d’une folie et d’une puissance qui terrassaient tous ceux qui s’y mesuraient ce soir-là – et après. Heureux fus-je donc d’avoir conservé cet enregistrement sur cassette, qui m’a accompagné jusqu’à ce que je trouve le fameux album en concert au Japon – mais pas moins de 20 ans plus tard.

Entre temps, quelques années après, et alors que le morceau en question n’en finissait pas de m’obséder, je mettais dans un premier temps la main sur le seul et unique album de BECK, BOGERT & APPICE – et dont la version en studio du même "Superstition" m’avait parue bien fade et plate en comparaison. Sans parler du reste de l’album qui, très loin d’être mauvais, ne nous emballons pas, n’était à mes oreilles guère du même calibre que les LED ZEPPELIN que j’étais en train de découvrir aussi, adolescent, ou que le CACTUS qui piquait vachement plus dur, en comptant précédemment, justement, cette même section rythmique mythique et exemplaire des seventies, Tim Bogert et Carmine Appice – également deux ex-VANILLA FUDGE.

Je partais donc toujours faire ma tournée des disquaires, pendant vingt longues années de désespoir et de frustration, systématiquement avec cette référence en tête – jusqu’à ce que je Le trouve. Une belle édition en digipack cartonné format double LP gatefold, import japonais avec OBI – mais en CD replica. Et quelle ne fut pas ma joie, récompensé après tant d’attente : sans exagération aucune, ce disque m’a mille fois plus chamboulé que le « Made In Japan » de DEEP PURPLE, et je l’ai usé jusqu’au bout, le rendu sonore de cette édition CD pouvant même contrecarrer tous les arguments possibles du moindre collectionneur de vinyles – comme quoi. Un son d’une robustesse démesurée et d’une ampleur pharaonique qui occupe tout le spectre audio possible et même au-delà. Aucun doute, j’étais un mélomane heureux.

Jusqu’à ce que Jeff Beck décède en janvier dernier et que, bien sûr dans de telles circonstances, les célébrations et rééditions augmentées pleuvent. C’est encore timide au regard de la grandeur, incommensurable, du guitariste, mais la parution de cette box-set est une bénédiction, et peut-être bouleversera-t-elle à son tour bien des curieux et adeptes de hard rock vintage du début des années 70 – qui plus est capté pour la postérité dans un pays qui aura permis de graver à jamais la magnificence des groupes anglais (ou parfois américains) dans leurs prestigieux temples.

Ici, non seulement la box réhabilite-t-elle ce fameux « Live In Japan » de 1973, mais elle offre en bonus de taille un autre concert gravé à Londres en 1974, juste avant que le 'supergroupe', à la durée de vie super-courte, ne se sépare pour de bon. Soit le fameux Graal (et mètre étalon de comment devraient définitivement sonner tous les lives de l’époque) enfin dûment disponible, doublé d’un autre document complètement inédit qui témoigne d’une soirée elle aussi hautement électrique, le 26 janvier 1974 au Rainbow Theater, dernier show de BECK, BOGERT & APPICE avant le split, inéluctable, au bout de plusieurs mois de tensions.

Au menu donc, l’album culte enfin disponible en Occident, accompagné de cet autre double made in London : quasiment aucun doublon (hormis l’indéboulonnable "Superstition", à l’origine écrit par Stevie Wonder pour Jeff Beck !) et donc un vaste répertoire de pur hard rock vintage signé par un power trio surdoué – mais aussi de funk rock, de blues profond et surtout d’un boogie rock survitaminé. Si parfois certains morceaux se voient étirés dans de vastes longueurs le temps de jams improvisées (et qui plombent occasionnellement le rythme, tel ce long passage assez ennuyeux sur "Lose Myself With You"), le power-trio s’applique à magnifier d’autres chansons de son seul LP ("Lady", "Livin’ Alone", ou bien encore "Sweet Sweet Surrender", "I’m So Proud", "Why Should I Care" ou "Black Cat Moan", elles-mêmes des reprises de standards), ainsi que d’autres chapitres de leurs passés respectifs, de CACTUS ou du JEFF BECK GROUP comme "Plynth", "Morning Dew", "Blues Deluxe" et "You Shook Me", là aussi des réappropriations de classiques blues – et ce répertoire antique, central à leur inspiration initiale, n’a de cesse d’être exploité (l’incontournable "Going Down"). Enfin, outre la superbe jam de Londres qui fait montre du talent arrogant déployé avec tant de classe et d’aisance par ces trois musiciens ("(Rainbow) Boogie"), les Anglo-américains dévoilent aussi quelques nouvelles compositions destinées à un deuxième album hélas avorté ("Satisfied", "Livin’ Alone", "Laughing Lady" ou "Jizz Whizz"), juste avant le rideau final sur l’affaire.

Avec une prise de son absolument parfaite et surpuissante, dantesque ! même, Jeff Beck, Tim Bogert et Carmine Appice donnent à chaque fois l’impression de jouer dans votre salon – mais à travers des murs de racks d’amplis chauffés à blanc et réglés avec une précision chirurgicale. Et qu’il s’agisse de « Live In Japan 1973 » ou de son successeur surprise « Live In London 1974 », inédit, ces deux enregistrements quasi inconnus égalent au moins les meilleurs témoignages live de THE WHO, de Jimi Hendrix, de HUMBLE PIE ou de LED ZEPPELIN.

Il n’est jamais trop tard pour découvrir un groupe ou un disque – et au-delà de la démarche marketing, on salue une nouvelle fois le label Rhino qui vient de commercialiser l’une de ces boxes parfaites qui vont venir sublimer toute discothèque d’exception, d’autant que les deux doubles-CD sont insérés dans une élégante boite cartonnée rehaussée d’une reproduction du programme japonais, d’un poster, mais surtout d’un épais livret cartonné qui nous narre toute l’histoire, passionnante, de BECK, BOGERT & APPICE. La lumière est enfin mise sur l’un des chapitres les plus passionnants de la carrière de Jeff Beck – en tout cas, celui que je préfère de loin, au moins aussi passionnant que ses indispensables « Beck-Ola » et « Truth », encore bien trop éclipsés par le rayonnement et la démesure de son pote Jimmy Page...

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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