2 octobre 2023, 19:59

GREEN DAY

"Dookie" [30th Anniversary Deluxe Edition]

Album : Dookie (30th Anniversary Deluxe Edition)

1994 est une nouvelle année charnière. Un certain 8 avril, des millions d’enfants d’une génération désenchantée pleurent pour de bon : on vient de trouver le cadavre de leur icône qui s’est cramé la cervelle à la 22 long rifle, trois jours plus tôt à son domicile – et ces mêmes kids brandissent désormais la figure du martyr. Dès lors, les maisons de disques, qui ont entre autre fait leur beurre sur une vague grunge qu’elles n’ont jamais vraiment compris (et de signer n’importe quel groupe à guitares un brin crado, des MELVINS jusqu’à... BUSH !!!), savent que ce juteux filon n’en a guère pour très longtemps. Oh, juste le temps d’exploiter le deuil avec le « Unplugged In New York » capté quelques mois auparavant sur le plateau de MTV – ou de profiter de quelques dernières semaines d’embellie avec PEARL JAM, ou encore le « Superunknown » de SOUNDGARDEN.

En coulisses, on pense déjà aux lendemains – qui chantent – et aux cours des actions qui n’en finissent de grimper, avant que l’on ne se tourne vers Napster, sifflant l’épuisement de la Corne d’Abondance. Avec NIRVANA, la X Generation avait à la fois découvert le punk, et les BEATLES – soit les deux mamelles tutélaires que le petit Kurt avait tant réussi à marier, aussi impossible la tâche fût-elle il y a encore peu. Rayon gourou christique torturé, on pouvait miser d’un côté sur Trent Reznor – les âmes écorchées eurent pu y trouver de quoi ressasser leurs névroses toujours plus béantes. Quant aux autres adolescents, avides de bruit, de déglingue, mais surtout de refrains à chantonner, il leur fallait quelque chose dans la continuité, la dépression et les tourments en moins – impensable de remplacer la dernière icône du XXème siècle par un ersatz blond filasse. 

C’est donc du côté de la Californie, bien plus rieuse et décomplexée que là-haut dans ce Washington humide, que l’on déniche les nouveaux poulains qui viendront tant défouler qu’égayer nos ados, déjà en manque de tubes fédérateurs. Et si THE OFFSPRING sera gros, héritier du punk-hardcore des plages du sud de L.A., les trois morveux fumeurs de weed de Berkeley seront MASSIFS : c’est GREEN DAY qui remporte la grande foire du trône de la seconde moitié des années 90, avec ici plus de vingt millions de copies écoulées. La recette est tout autant furibarde, mais un poil édulcorée et maline, tout en piochant dans l’héritage des sixties et seventies. THE KINKS, THE WHO et THE BEATLES en ligne de mire en ce qui concerne la sophistication des refrains, la dentelle des mélodies et même les formules intrinsèques des chansons – courtes et expéditives comme un bon 45-tours taillé pour les radios – et donc punk-rock à l’ancienne, tant des SEX PISTOLS ou des CLASH pour continuer à respecter le cahier des charges anglais, qu’américain dans son underground débridé, à commencer par les RAMONES pour les basiques, un soupçon de power-pop et de garage. Pour ce troisième album un poil formaté pour son intronisation chez une major, GREEN DAY optimise sa formule potache avec de vraies chansons pas si inoffensives que ça, mais qui risque moins de trahir des démons intérieurs avec son lot de paroles à faire pâlir les parents – bien que "Basket Case", aussi délurée et poppy soit-elle, illustre bien quelques menus soucis d’équilibre mental.

Partout c’est donc ici la fiesta punk-pop à roulettes et chacune de ces missives ricochent entre new et old-school, pour le plus grand bonheur d’un public juvénile, qu’il soit skater casse-cou, spring-breaker à cheveux verts ou gamin biberonné par MTV, qui n’en finit plus de dicter ce qui doit être cool dans les bahuts et campus du monde entier. La preuve, en quelques mois à peine, ces mêmes fans qui ont ainsi acheté « Dookie » par millions en cassette ou en CD viennent désormais applaudir leur groupe de chevet propulsé à l’affiche du Woodstock ‘94 – là où il aura parfois fallu pas mal d’années de plus à d’autres géants pour pouvoir s’y hisser aussi.

1994 donc – et c’est ainsi, avec un bon semestre d’avance, une fois n’est pas coutume, que l’on vient célébrer le trentième anniversaire dudit album, en grandes pompes, comme on vient fêter en combats de boxes sur-garnies les STONES... ou les BEATLES et NIRVANA.

« Dookie » en 2023, c’est la consécration à portée de bourse pour jeunes seniors désormais aussi nostalgiques que leurs aînés : on a cinquante ans et on veut se repasser "Welcome To Paradise" (une relecture de leur chanson déjà présente sur le précédent « Kerplunk » en 1991), les classiques "She" et "When I Come Around" si magnifiés dans leur bel écrin, mais également l’ambitieux "Longview" ou le pur keupon "Having A Blast". On n’a peut-être plus de dreadlocks, de pantalons baggies Dickies, de t-shirts déchirés à rayures ni de tignasse décolorée, mais on pourra apprécier les bombes punk de notre enfance sur la chaîne hi-fi du salon – et encore plus ses bonus, innombrables. Dans son superbe coffret miroir, outre un épais booklet récapitulatif, « Dookie » se pare comme-il-se-doit de son disque-compagnon de B-sides plus ou moins rares à l’époque, telles "On The Wagon" ou encore, justement, cette reprise très appliquée des KINKS, ce "Tired Of Waiting For You" que l’on avait pu découvrir sur la B.O. du film Private Parts. A cela s’ajoutent une palanquée de démos bricolées sur un 4-pistes (comme cette version bêta très BEATLES 1964 de "Basket Case", un régal !), d’autres maquettes plus avancées et issues de cassettes, mais également un live intégral enregistré au Garage de Barcelone le 5 juin 1994, soit dix-sept titres – dont un bon gros tiers extraits de l’album, le reste provenant de leurs premiers méfaits alors plus confidentiels – et où l’on constate que déjà, les grandes lignes des prestations XXL de leurs futurs shows en stade étaient déjà en vigueur à l’époque, comme en atteste cette jam sur "Paper Lanterns". Dernière cerise sur le caca, le live, définitivement mythique, électrique, brut et potache, de Woodstock avec ses dix titres captés le 14 août 1994 pour les 25 ans du festival (et déjà disponible en vinyle collector pour le Record Store Day en 2019).

Tout ce contenu s’avère donc fondamentalement nécessaire pour comprendre en quoi « Dookie » a été une œuvre majeure pour le trio mené de main de maître par le visionnaire Billie Joe Armstrong, suivi de ses camarades Mike Dirnt et Tré Cool, telle une rampe de lancement réussi pour affûter plus encore son songwriting à l’avenir – jusqu’à des albums concepts parfaitement maîtrisés comme l’exemplaire « American Idiot », jouissive tentative de pamphlet politique anti-Bush qui reste éminemment fun. Ou comment, à nouveau, marier fureur punk et entertainment à l’américaine.

Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas régalé de son écoute ; certains avaient même pu pommer leur vieux CD tout rayé depuis des lustres – au point de se demander « il était où, hein, le Dookie ? ». Et donc de sauter sur l’occasion pour replonger dedans, avec les honneurs qui se doivent.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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