6 octobre 2023, 23:59

POWERTRIP FESTIVAL 2023

@ Indio (Californie)

AC/DC


On pourra dire ce que l’on veut autour de ce festival, par pures convictions, frustration légitime ou stricte jalousie, mais le PowerTrip s'inscrit déjà comme l’un de ces grands moments de l’Histoire du hard rock et du heavy metal : on le sait désormais, 80 000 personnes sont venues du monde entier pour se donner rendez-vous dans un coin du désert californien et y vivre six concerts. Six concerts seulement, à l’heure où les grands rassemblements européens d’envergure en proposent parfois jusqu’à 30 fois plus (!) en autant de jours - et très étrangement, si l’on ne peut qu’être évidemment séduit par le programme ultra-complet et haut de gamme habituellement déployé à Clisson, avec son panel de 160 groupes répartis sur six scènes, ce PowerTrip a surtout généré fantasmes et excitation chez bon nombre de fans de la planète. Mais il y avait toutefois des calculs à faire… et des questions à se poser. 


Version métallisée du Desert Trip d’octobre 2016 par les mêmes organisateurs (rappelez-vous : six concerts aussi, avec THE WHO, Roger Waters, Bob Dylan, Neil Young, THE ROLLING STONES et Paul McCartney, soit la plus folle des affiches réunissant les dernières légendes des sixties et seventies encore dignes), le PowerTrip n’allait cette fois se concentrer qu'autour d’un seul week-end, et non deux d’affilée - mais en pratiquant une politique tarifaire des plus exubérantes, pour un évènement à juste titre méprisant, voire insultant, pour les classes populaires.
Pensez-donc : il fallait débourser au moins 600 dollars (sans les taxes, ni les fameux fees de service, au moins cent dols’ de plus !) pour être parqué tout au fond, et jusqu’à plus de 3000 balles pour une expérience vaguement VIP ce à quoi devaient s’ajouter les frais quotidiens de logement (dans une des régions les plus onéreuses de tous les US !), ainsi qu’un budget nourriture/boissons carrément honteux avec, pour exemples, $11 la part de pizza en carton avalée en trois bouchées, $13 la bière en canette… et $15 la limonade bien fraîche, délicieuse et indispensable, sous les 40 degrés quotidiens annoncés. Autant vendre un rein ou un bras pour s’offrir un tel séjour - mieux, si c’est celui d’un enfant indésiré ou d’une personne que vous n’aimez pas.
Toutefois, à l’annonce de l’event, la question s’est donc légitimement posée : « et si on y allait ? ». Passé le délire du trip envisagé entre potes, les semaines ont estompé l’emballement initial - jusqu’à ce qu’une miraculeuse opportunité se présente.
Et d’un « simple » week-end de festival, comme on en vit tous depuis des lustres, c’est toute une semaine en Californie qui s’est subitement mise en branle quelques jours à peine avant le Big Day : on allait vraiment s’envoler pour le PowerTrip.


En arrivant sur les lieux, à quelques dizaines de kilomètres de Palm Springs au fond de la Vallée, c’est précisément sur un gazon quasiment aussi vert qu’à Bali que se tient la manifestation, sur les centaines d’hectares du très chic et branché Empire Polo Club, là où se tiennent chaque année les deux week-ends du Festival Coachella, sommet de la hype mondiale, qui ferait passer Rock en Seine ou We Love Green réunis pour des kermesses de quartier. Et dans ces décors de montagnes environnantes drapées par la golden hour de cette Californie du sud, ce sont justement ces images de l’US Festival de mai 1983 (alors à San Bernardino, à mi-chemin de L.A.) qui reviennent en mémoire - soit une marée humaine sous le cagnard venue applaudir le meilleur du metal. Et quarante ans plus tard, après tant d’évolutions dans le déploiement démesuré et les concepts ambitieux de telles cérémonies (du Hellfest au Wacken en passant par le Graspop), une question, essentielle, se pose : et si cette communauté metal ne s’était pas trop fragmentée, à la longue ? Avec sa multiplication de chapelles, la sphère metal est-elle tant unique que ça ?
Avec de tels programmes quasi à la carte et autant de scènes aussi singulières que dispersées, on doute finalement de la teneur réelle des valeurs pourtant vantées : dans une société de zapping, de scrolling et de sur-offre, on vient consommer du groupe en butinant parfois, en croquant quelques bouts de chansons avant de s’en aller repartir cocher d’autres sensations éphémères, tout cela pour, finalement, finir par ne plus trop se rappeler de grand chose.


Tandis qu’une bonne vieille journée de Monsters Of Rock façon années 80, eh bien là, oui : vous alliez vous rappeler de chaque minute de ce qui était en train de se dérouler devant vos yeux en un après-midi. Sauf que là aussi, le montage de telles affiches devait être hiérarchisé, avec des groupes promis à vingt-cinq minutes pour les uns, une petite demi-heure pour les autres, quarante minutes pour les suivants, et ainsi jusqu’au headliner absolu.

Et voilà que malgré son budget aussi exigeant que clivant et honteux, le PowerTrip vous offre « seulement » deux têtes d’affiche par jour - soit DEUX concerts majeurs et uniques par soirée, le temps d’une expérience vécue pleinement par chaque festivalier qui ne va ni se déchirer la tête avant le coucher du soleil, ni rester prendre l’apéro au camping, et encore moins errer de tentes en chapiteaux au gré du casse-tête d’une timeline au cordeau. 


Si d’aucuns pouvaient donc regretter l'absence de groupes de « première partie » pour agrémenter chacune de ces soirées exceptionnelles, et que pour un tel tarif l’offre pouvait paraître un peu faible au regard d’autres manifestations, ce PowerTrip nous a totalement séduit et enthousiasmé, tant dans sa programmation exceptionnelle, comme un alignement de planètes, que dans la beauté de son site parfaitement entretenu (gazon, arbres, etc). Certes, la question écologique se pose fondamentalement dans un tel environnement…le désert. Peut-être l’offre « culinaire » (hum !) et les différents baraquements autour n’ont-ils pas non plus été à la hauteur d’une organisation aussi prestigieuse que la marque Coachella, et les accès aux parkings ont-ils été aussi désastreux qu’éprouvants, tant pour y rentrer que pour en ressortir. Mais quel bonheur d’avoir pu jouir d’un tel espace pour assister aux concerts d'IRON MAIDEN, GUNS N’ ROSES, JUDAS PRIEST, AC/DC, TOOL et METALLICA, précédés de la douce lumière mauve et mordorée des montagnes du désert avant que la nuit, chaude et enveloppante, ne serve elle aussi d’écrin à une telle expérience, véritablement unique au monde.

Évidemment s’est ainsi posée la question du clivage, du privilège et du nivellement par l’argent - d’autant que selon les formules choisies, le public s’est retrouvé compartimenté comme des garnisons romaines selon une architecture de site très stricte. Et la plupart des spectateurs n’ont, au fond, pu jouir des spectacles que grâce à la disposition de nombreux écrans géants - cela dit d’une taille et d’une qualité optimale, à la hauteur du traitement du son, particulièrement impressionnant pour une telle ampleur. Pensons, pour nous rassurer que, depuis Woodstock jusqu’aux grands rassemblements des années 90, la majorité du public ne voyait alors strictement rien de ce qu’il pouvait se passer sur scène, passée une certaine jauge. L’US Festival ? 300 000 personnes - 90% d’entre eux n’ont pas dû voir grand chose. Malgré un site tout aussi gigantesque avec autant de dizaines de milliers de personnes appartenant à des CSP+++, originaires du Chili, du Canada, du Mexique (énormément !), d’Europe ou des quatre coins de l’Amérique, le PowerTrip n’offrait aucune alternative que de se contenter de cette seule scène, massive et moderne, avec son écran géant principal étiré sur ses deux côtés - exactement comme ceux, bien plus modestes (!), des deux Main Stages du Hellfest 2019.


​VENDREDI 6 OCTOBRE

 
IRON MAIDEN


C’est un aveu : c’est la journée que l’on attendait avec le moins d’excitation. Oh, oui nous étions toutefois heureux de revoir IRON MAIDEN. Mais pour une telle occasion, le groupe n’a pris aucun risque et s’est contenté de reproduire la set-list habituelle et immuable de son « The Future Past Tour », sans la moindre surprise, ni gâterie pour le public américain. Si ce dernier a savouré les quatre extraits du « Somewhere In Time » de 1986 réhabilité depuis des mois sur la route, il n’avait franchement que faire des longues et ennuyeuses percées du dernier « Senjutsu » qui, passée la découverte de l’album, à la rigueur, n’intéressent strictement personne. Les Américains étant ce qu’ils sont… et surtout dans le cadre d’un tel événement aussi fédérateur que conservateur : il fallait du hit. Seulement du tube  - et pas des « Death Of The Celts » ou des « Hell On Earth » interminables à provoquer, déjà, des bâillements à 19h30 une fois la nuit bien installée à Indio - dans cette catégorie, seul l’épique « Alexander The Great » s’est avéré passionnant. Heureusement le show a-t-il été rehaussé par la présence de « The Trooper », « The Prisoner » ou de « Fear Of The Dark » (qui est toutefois loin de provoquer la même liesse ici qu’en Europe), et surtout par la classe éclaboussante des musiciens, à commencer par Adrian Smith, LE grand héros du jour, ainsi que de son partenaire Dave Murray, tout aussi irréprochable dans l’exécution de leurs soli, absolument magiques. On n’en dira pas autant de l’autre troisième larron, le sympathique mais guère utile Janick Gers (c’est bon ?) qui s’évertue davantage à meubler la scène par ses éternelles pirouettes de danseur que par son jeu dissimulé derrière celui, flamboyant, des deux vrais guitaristes historiques. Enfin, si Steve Harris paraît avoir nettement perdu de sa superbe, Bruce Dickinson reste d’une éloquence insolente, plus fit et rajeuni que jamais, malgré ses choix toujours aussi discutables de costumes de scène. Mais sa théâtralité, sa communication, sa silhouette, sa prestance et surtout sa voix sont fidèles à la légende et ont largement contribué à faire de ce concert fort classique d’IRON MAIDEN un très bon moment pour rentrer dans le vif du PowerTrip.

Hélas, la prestation suivante a complètement terni la soirée : le concert de GUNS N’ ROSES. Précisons d’emblée, à nouveau, que nous sommes des fans du groupe depuis 35 ans et que nous avions déjà accompagné, non sans une grande excitation, les premières heures de cette tournée de (fausse) réunion qui n’en finit plus de tourner en rond depuis quand même sept ans. Des deux concerts mexicains d’avril 2016 jusqu'au Stade de France l’année suivante à Paris, les GUNS faisaient encore forte impression. Las, le show du Download 2018 fut sensiblement en-deçà, et celui de Clisson 2022, carrément catastrophique. Quelle n’avait pas été notre déception - mais, en éternels optimistes, nous voulions donner aux Californiens une nouvelle chance de pouvoir faire leur éloge… et ce cirque s’avéra malheureusement aussi pathétique qu’au Hellfest. 

 
GUNS N' ROSES


Malgré la promesse d’un spectacle s’étirant sur trois heures (et qui aurait apparemment dû se prolonger encore et encore s’il n’avait été entravé par ce couvre-feu imposé à 1 heure du mat’ !), ce concert n’a été que désolation. Comble : seul l’imprévisible Axl Rose a paru prendre du plaisir en affichant de grands sourires - le rouquin sexagénaire ne semble même plus se rendre compte qu’il perd davantage chaque soir toute la vigueur de son organe. Une voix de tête, sans agressivité ni coffre, qui ne délivre ci et là que quelques rugissements de lionceau, soit des démonstrations bien poussives qui ne trompent pas grand monde. Trois heures sur scène : certes, une prouesse ! Et une setlist correspondante forcément ambitieuse - mais qui ne génère que désillusions, et pour ainsi dire guère de destruction. Pire, c’est Slash et Duff à qui l’on en veut le plus : c’est une évidence, ils se font totalement chier sur scène. Littéralement. « Ça balloche » se répète-t-on sans arrêt, dépités par le triste tableau de ces musiciens en roue libre qui ne jouent que pour cachetonner, dépourvus de la moindre once de passion - oh, si, juste trois minutes, le temps imparti pour que le bassiste s’approprie le « TV Eye » de ses STOOGES chéris, seul vrai moment d’excitation un peu punk au cours d’une deuxième partie de soirée si terne et molle, tristement corporate, alors que le répertoire devait promettre des moments de grâce. Mais non, toutes les meilleures compositions hard du monde ne peuvent sauver un groupe réuni pour les mauvaises raisons - et qui a même réussi à saboter son propre son, en carton, mal mixé et d’une grande platitude, là où celui de MAIDEN était clair et puissant ; les quatre autres groupes du week-end pourront à leur tour jouir d’un dispositif sonore absolument monstrueux, chacun bénéficiant d’un traitement en façade réellement jouissif, fort, robuste et équilibré. Tous, sauf les GUNS. Booooooooh : ça a été unanime - presse, Américains et nous, petits frenchies pourtant fans et enthousiastes - , tout le monde a été atrocement déçu. 


SAMEDI 7 OCTOBRE

 
JUDAS PRIEST


En remplaçant Ozzy Osbourne qui avait déclaré forfait il y a déjà quelques mois (fort heureusement d’ailleurs - c’eût été un crève-cœur que de le voir subir son propre show et ainsi peiner à faire oublier les GUNS de la veille !), JUDAS PRIEST a eu la brillante idée, au bout d’une carrière de plus de cinquante ans (!), de s’offrir le plus beau des challenges : atomiser les Américains. Veni Vidi Vici : les Anglais ont été impériaux, et à plus d’un titre. D’abord ce son, remarquable, massif, ultra heavy, ultra metal, taillé dans les aciéries des Midlands pour leur démonstration de force du jour. En démarrant par « The Hellion » et donc « Electric Eye » (suivi du splendide « Riding On The Wind » !!!), le PRIEST a tout misé sur sa propre histoire autour du territoire américain : en favorisant une set-list plutôt nostalgique et donc orientée en direction de son marché des eighties, de sa conquête à sa consécration - avec ainsi de très copieux extraits de « British Steel », de « Screaming For Vengeance » et même du mésestimé « Point Of Entry » en 1981 (avec « Heading Out To The Highway » et la surprise « Desert Plains », appropriée aux lieux) ; mais également « The Sentinel » ou « Turbo Lover » - soit une bonne grosse moitié de set ancrée dans les souvenirs de leur glorieuse décennie ici. Et donc en faisant exactement l’inverse de MAIDEN la veille : probablement par opportunisme, mais avec une intention ouvertement belliqueuse - il n’était nulle question de proposer un set consensuel. Cette version de « Painkiller » fut probablement l’une des plus sauvages et agressives jamais entendue en live : incroyable Rob Halford, 72 ans et définitivement Metal God. Même les extraits de « Firepower » sonnent presque comme des classiques, à quasi égalité avec d’autres pépites comme leurs reprises personnelles des « Diamonds And Rust » ou « The Green Manalishi (With The Two Prong Crowns) » réhabilitées des années 70, ainsi que ce « A Touch Of Evil » remarquablement heavy. JUDAS PRIEST a tout donné et prouvé qu’il était le meilleur groupe de heavy metal encore en activité, fort de sa légende, de ses chansons en acier trempé, et de la fougue de son Richie Faulkner qui paraît presque faire partie du groupe depuis toujours. Si l’autre guitariste remplaçant Andy Sneap ne jouit certes guère d’un grand charisme, il assure totalement la complémentarité avec son camarade - et lorsque Glenn Tipton fait son apparition en fin de set pour une poignée de chansons symboliques (« Metal Gods », « Breaking The Law », « Living After Midnight »), les fans lui font honneur, dans un mélange d’admiration, de respect, et de tristesse face à cette idole diminuée mais digne. Un grand, un TRÈS grand concert de JUDAS PRIEST où l’on a poncé nos manches de air guitar pendant près de deux heures dans une immense euphorie.

AC/DC


Arrivait ensuite LE moment qui justifiait à lui seul le déplacement de tout le public par-delà les océans : le grand retour d’AC/DC. Le PowerTrip, c’est AC/DC - au point qu’à une poignée de kilomètres de l’Empire Polo Club, un gigantesque beer garden éphémère doublé d’un pop-up store géant et d’un dive-bar ont été montés à l’occasion de leur retour. Si le groupe n’avait pas joué ensemble depuis sept ans, c’est depuis 2015 que le gang ne s’était pas produit avec Brian Johnson. On ne va pas ici re-polémiquer sur l’affaire, sur les non-dits ou les failles de la communication de cette machine du show-business - mais au moins peut-on avancer que des attentes, des doutes, des interrogations, des pronostics ou des suppositions, il en a fusé de partout pendant tout le week-end. Et à commencer par LA grande interrogation : « Vont-ils en être capables ? ». Face à la scène pharaonique qui s’étire dans toute la largeur du site, le public, forcément au complet, rumine ses questions au fur et à mesure que des antiques lamentations de Delta Blues meublent dans la sono les interminables minutes qui précèdent le show. On a tous l’impression d’attendre et de vivre un moment historique : à l’heure du cinquantième anniversaire du groupe, et alors qu’il n’a toujours pas officiellement annoncé son hypothétique retour en tournée pour 2024, les questions rejaillissent avec plus d’entrain : « et si ce PowerTrip n’était qu’un one shot ? » ; « et s’il devait s’agir au bout du compte du tout dernier concert de leur carrière ? ». « Et si Brian ne pouvait plus assurer ? » - et j’en passe. Au moment où Indio est à nouveau plongé dans le noir dans un grand moment de fébrilité, et qu’un film d’animation forcément inédit vient davantage attiser l’excitation générale sur les écrans géants, les doutes sont immédiatement balayés par la forme arrogante du groupe - en une seule moitié de chanson, tout PowerTrip, tout le MONDE est immédiatement rassuré : AC/DC is back, impérial, d’autant qu’il revient dans l’arène avec un morceau au moins aussi évident que lourd de sens. « Vous vouliez du sang ? » Vous allez en avoir ! Tout le monde imaginait soit un « Back In Black » ou un « Shot In The Dark » en guise d'ouverture tonitruante : ce sera l’incisif « If You Want Blood (You’ve Got It) » qui s’imposera comme la triomphale trompette du retour. Et derrière… c’est l’escalade. Pas moins de 24 chansons (certes systématiquement espacées d’une grosse minute d’attente qui peine à maintenir le rythme) seront offertes au public avide et récompensé de ses années de craintes. Oui, on a eu peur pour Brian, jusqu’à la dernière minute, et oui, sans grandes surprises a-t-il essuyé de très nombreuses faiblesses sur le plan vocal. Mais l’homme vient tout juste d’avoir 76 ans (!) le 5 octobre dernier, et a au moins témoigné de son indéfectible envie d’être là, de sa détermination et de son implication. Oui, il a dû souffrir, mais son bonheur explicite et affiché de prouver son engagement, devant ces dizaines de milliers de fans bienveillants en support, a largement éclipsé les difficultés - là où les failles des GUNS, la veille à la même heure, étaient béantes.

AC/DC


Ce set d’AC/DC a été un miracle, et à mille points de vue : avec désormais une longue tignasse toute blanche façon Doc de "Back To The Future", Angus Young s’est certes économisé en termes de duck walks ou de course poursuite avec le son, mais il a démontré qu’il pouvait être endurant et tenir la distance sur plus de 2h20 de show, la guibole toujours tremblante et marquant le rythme. Stevie Young derrière, forcément discret, a hérité de la main droite de la famille et particulièrement de celle de l’oncle disparu, et a assuré comme une bête, notamment à l’œuvre en poussant avec force et conviction le mur rythmique de « Let There Be Rock », habituel paroxysme hard de la soirée. Cliff Williams est à nouveau à sa place, fidèle et convaincant, tant aux chœurs, nourris, que derrière sa basse, en nouant son groove autour de la frappe de l’américain Matt Laug, ex-SLASH’S SNAKEPIT, qui sonne aussi juste que l’iconique Phil Rudd qu’il remplace ce soir — même force, même métronomie, même placement du temps, soit une certaine idée du batteur idéal à ce moment décisif de leur carrière. Et donc tous ces regards suivent un Angus évidemment moins véloce mais toujours aussi vif et précis sur sa SG, ainsi que Brian, inconditionnellement aussi roublard, cabot, malin et enthousiaste qu’autrefois, roucoulant du fond de sa gorge sur les chansons qu’il a emmené comme un seul homme jusqu’ici, en Amérique : pas moins de six extraits de « Back In Black », le chef d’œuvre de 1980 qui a tant contribué à populariser le groupe ici, toutes les générations présentes maîtrisant par cœur les « Given The Dog A Bone », « Shoot To Thrill » ou bien évidemment « You Shook Me All Night Long » de la soirée. Mais le set n’a pas été que gros singles : les surprises ont été nombreuses, à l’instar de l’inclusion de « High Voltage », de « Stiff Upper Lip » ou encore de « Riff Raff » au menu, sans négliger deux extraits du dernier album « Power Up », interprétés pour la première fois (« Shot In The Dark » et « Demon Fire »). Si l’intro de l’incontournable « Thundertruck » a été un peu foirée niveau manche, que le chanteur a réellement peiné à faire décoller ses vocalises dessus, et que d’autres couacs ont provoqué ailleurs quelques crispations chez les connaisseurs, au moins les boys ont-ils démontré de leur envie d’en découdre, et de leur force mentale. Le show est allé crescendo, non sans luttes, jusqu’à la libération finale par les canons sur l’inamovible « For Those About To Rock » - oh oui on les a salués, on les a même acclamés et chaleureusement applaudis pour une telle prouesse, là où rien ne semblait gagné d’avance, le groupe devant à nouveau faire ses preuves au bout de cinquante ans, 300 millions d’albums écoulés, et autant de stadiums précédemment vaincus. Quelle gifle, quelle classe, quelle persévérance, quelle résilience même — et quelle leçon ! Si jamais AC/DC avait dû livrer son dernier concert ever ce soir-là, cela aura(it) été sur un magnifique et surpuissant BANG !

 
© Loïc Metayer


DIMANCHE 8 OCTOBRE 

C’est horrible comme les meilleurs moments passent si vite - et pourtant, malgré un portefeuille atrophié, c’est quand même un week-end historique que nous avons vécu, avec six concerts en tête d’affiche délivrés par les six derniers plus grand géants de l’Histoire. Rien que ça : jamais de tels noms n’avaient été réunis de la sorte.

TOOL


Et si la moyenne d’âge des ténors oscillait entre soixante et soixante-dix ans, ce dimanche soir accueillait néanmoins les juniors de la sélection : TOOL. Définitivement un OVNI dans la programmation, les Américains ont toutefois prouvé qu’ils avaient ici leur place, et qu’ils restaient une valeur sûre, tant du présent que de l’avenir du metal, aussi hybride et singulier soit-il. Pas de hard rock, pas de rock ’n’ roll, encore moins de heavy metal : l’entité TOOL, unique et incomparable, a brillé par sa différence et sa personnalité, dont la valeur a été magnifiée par une production démesurée, tant au niveau du son que de l’image, et en faisant passer ses propres musiciens au second plan, aussi doués soient-ils.

Plus que jamais sur une scène aussi gigantesque, TOOL a remporté le pari d’emmener le public très très loin dans ses délires fantasmagoriques, grâce à cet écran géant qui nous a tous engloutis pendant deux heures de trip aussi cauchemardesque qu’envoûtant et immersif - encore plus fort que le show de Bercy 2022, pourtant déjà exemplaire en terme d’esthétique et de voyage. Avec un son aussi INCROYABLE, où chaque élément de percussion, subtil et discret, bénéficiait d’un rendu cristallin, TOOL a reproduit en musique ce que Kubrick avait réalisé au cours de la dernière partie de "2001 L’Odyssée de l’Espace". Définitivement extraterrestre, Maynard James Keenan ne pouvait plus tenir en place sur ses petites plateformes, en ombre chinoise, de part et d’autre de la batterie, et au-dessus de ses camarades, imperturbables et appliqués. Très centré autour des longues plages du dernier opus en date, « Fear Inoculum », le set des musiciens a également largement revisité ses précédents albums à travers certains classiques comme « The Grudge », « Aenema », « Forty Six & 2 » ou l’incontournable « Stinkfist ».

TOOL


Enfin, comme un gagnant désigné d’avance en étant de facto celui qui conclurait cette édition, METALLICA s’est véritablement imposé comme celui qui aurait le dernier mot… et à juste titre. Si AC/DC est sans conteste le groupe qui a récolté le plus de clameurs, de sympathie, d’encouragement, d’admiration et de respect au mitant du week-end, c’est bien METALLICA qui a démontré qu’ils étaient à eux quatre les patrons indisputés du genre.
Sans revenir sur nos impressions, excellentes, de leurs deux concerts donnés au Stade de France en mai dernier, on peut sans problème déclarer, après avoir laissé mijoter des impressions à chaud peut-être trop hâtives, que ce concert du PowerTrip 2023 a largement enterré ceux de Paris, et même celui du deuxième soir, déjà largement supérieur et exemplaire - mais là, quasiment à domicile en Californie, METALLICA a prouvé qu’il ne ferait aucun quartier, et que malgré tout le respect que ses musiciens pouvaient éprouver et sincèrement déclarer à l’égard de leurs pairs ici présents (Hetfield, Hammett & co ont quasiment à chaque fois assisté aux shows des autres depuis le pit), le groupe imposerait sa domination. 

 
METALLICA
© Loïc Metayer


C’est clair : METALLICA n’a fait qu’une bouchée de son public et de ses concurrents, mais à la loyale. Avec une des plus belles scénographies jamais déployée en live par le groupe grâce à cet écran géant qui a fait toute la différence pour souligner les visuels proposés par les artistes présents, METALLICA s’est lui aussi montré impérial de bout en bout. Sans aucune surprise à décocher, sans pourtant aucune rareté à offrir, les Four Horsemen ont exceptionnellement ramassé les deux set-lists complémentaires de leur tournée actuelle en une seule, pour une efficacité tant optimale que redoutable. « Whiplash » dans la gueule d’entrée de jeu ! « Creeping Death » ! « For Whom The Bell Tolls » ! « Enter Sandman » ! Et cætera, et cætera : que du TUBE, sans aucun temps mort, avec ce son monumental, puissant et clair, mettant en avant tous les instruments dans un grand souci d’équilibre et de robustesse, à même de faire trembler le tout dernier fan parqué loin loin loin tout au bout de la dernière parcelle de Coachella. « Sad But True » ! « Lux Aeterna », obligatoire nouveau classique ! Spectaculaire « Orion », si impeccablement interprété ; un « Fade To Black » poignant et accompagné d’un discours de prévention approprié ; « Hardwired », « Fuel » arrosé de grandes gerbes de flammes, « Seek And Destroy », « The Day That Never Comes »…. soit une set-list pour un concert parfait. Parfait ? Non : Kirk Hammett s’est atrocement viandé sur l’intro de « Nothing Else Matters » qu’il a l’habitude de massacrer - mais là au point de se payer la honte de devoir tout recommencer à zéro ! Et que dire de cette « Desert Jam » tout spécialement écrite et interprétée par le duo Hammett-Trujillo le temps d’un très grand embarras - grâce auquel on a enfin compris pourquoi ils ne pouvaient décemment pas se permettre de composer quoi que ce soit au sein du groupe. Mais ces quelques imperfections prouvent au moins à quel point METALLICA demeure un groupe humain, malgré la grosse machinerie affichée - et comme a pu en attester l’excellente humeur de James Hetfield, rayonnant, blagueur avec ses camarades et si heureux d’être là, sans parler de son compère Lars Ulrich, particulièrement concentré, appliqué et investi. Enfin, après un « One » d’anthologie, absolument dantesque, c’est avec « Master Of Puppets » qu’ils ont parachevé leur prestation, avec classe, éclat, über-puissance et maîtrise, dans un déluge d’effets visuels et d’éclairs d’orage enveloppant l’intégralité de la scène, intérieure et extérieure - comme un mash-up numérique XXL des esthétiques de « Master… » et de « Ride The Lightning », aveuglant, terrassant et menaçant. Quelle gifle ! Le concert ultime ? En tout cas largement digne de leurs plus belles heures en quarante ans d’histoire.

 
METALLICA

 
Si seulement GUNS N’ROSES avait, ne serait-ce que donné le quart de ce que METALLICA a offert sans grand effort supplémentaire, on aurait alors parlé d’un concert brillant et donc d’un sans-faute pour cette édition premium du PowerTrip. Hélas, l’ex-groupe-le-plus-dangereux-du-monde a une fois de plus démontré de son désintérêt, de son arrogance, de son ennui, de sa démotivation et de son foutage de gueule déguisé en concert-marathon soporifique.

C’est donc sans prétention ni frime aucune, mais avec beaucoup de fierté et surtout d’émotion (et déjà une douce nostalgie) que nous pouvons dire que nous y étions, et que malgré l’entreprise hautement capitaliste de l’affaire, nous avons pu y ramener candidement du rêve - soit la raison même de notre déplacement à plus de 9000 kilomètres, et de notre envie de vous en faire partager les grandes heures.


Prolongez dans l'aventure Powertrip avec le reportage de METALXS : ICI
 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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