2 mars 2024, 17:10

Mick Mars

"The Other Side Of Mars"

Album : The Other Side Of Mars

Drôle de bonhomme que ce Mick Mars... Musicien le plus aguerri de MÖTLEY CRÜE lorsque le groupe voit le jour, il est rapidement devenu le plus discret. Au point où, progressivement – et plus particulièrement après « Shout At The Devil » – le retrouver en interview dans les pages de nos mensuels préférés constituait toujours une petite surprise. D’ailleurs, au verso de la pochette du « Theatre Of Pain », précisément là où chaque membre du groupe se voit privé d’un sens, devinez quel est celui dont on masque la vue et, accessoirement, une bonne partie du visage ? Mick... bien sûr ! Demandez à Nikki, Vince ou Tommy les raisons de ce choix... et s’ils auraient accepté de tenir ce rôle, eux ?

Cela ne relève pas que de l’anecdote. Mick, plus âgé que les trois autres gigolos, a sans nul doute vécu son MÖTLEY CRÜE différemment. Jeune père de trois enfants lorsque la formation californienne organise sa toute première répétition à coups de "Stick To Your Guns", "Toast Of The Town" et "Public Enemy #1", il a déjà connu bon nombre de galères. Il est aussi malade. Gravement. Robert Alan Deal, de son vrai nom, n’aura jamais le même regard sur le succès que ses trois compères, autodestructeurs au possible... tandis que Mick avait déjà été bien abîmé par la vie. Et si le "1313" fait aujourd’hui l’unanimité (ou presque), comme finissent généralement par la faire ceux qui, toute une vie durant, restent fidèles à leurs valeurs, à leurs idées et à une certaine ligne de conduite, n’oublions pas, pour qui a connu la première décennie d’existence du CRÜE, que Mick a bien souvent été considéré comme le plus mauvais guitariste de hard rock des 80’s. Ses – interminables – solos, en concert, ne plaidaient pas en sa faveur, certes, mais pas sûr que l’on se serait attaqué à lui de cette manière s’il s’était affiché aux bras de stars du petit écran, aux derrières de stars du X ou s’il avait romancé son passé d’héroïnomane dans un bouquin qui serait – forcément – devenu culte...

Non, Mick, les paillettes, l’air du temps, les shredders et toutes ces conneries, ça l’emmerdait. Et quand un journaliste – forcément mal intentionné – l’interrogeait sur les Malmsteen, Mc Alpine et autre Vinnie Moore, le père Mars répondait du tac au tac qu’il ne comprenait pas pourquoi ils faisaient cela – jouer aussi vite – car eux aussi, un jour, allaient bien finir par mourir. Pourquoi se presser ainsi ? Pas faux. Car avec Mick, la vitesse n’a jamais été l’enjeu majeur. La genèse de « The Other Side Of Mars » en atteste ! Peu ou prou 10 ans que l’on entendait parler de cet album (et que l’on se demandait s’il était bien raisonnable d’y croire encore). Alors, à l’écoute de "Loyal To The Lie", son premier single, c’est une vraie déception que d’entendre un morceau que l’on imaginait avoir été peaufiné une décennie durant. Il n’en est rien. En réalité, le projet n’a jamais cessé d’évoluer... dans la tête de Mick ! En interne. Il y a donc bien eu quatre ou cinq albums fantasmés par le guitariste, mais qui n’ont jamais vu le jour. D’abord du blues pur et dur, taillé dans les veines de ses héros (Beck, Bloomfield, Bolin, Clapton, Hendrix), en passant par ces enregistrements effectués en compagnie de celui qui assurait la rythmique et le chant à ses côtés, en 1994 : John Corabi. Alors oui, les extraits de "Shake The Cage" et, surtout, de "Gimme Blood", nous font amèrement regretter que lesdites bandes aient été abandonnées au fin fond d’un tiroir, du côté de Nashville, mais Mick Mars avait-il réellement pour ambition de mettre sur pied un ersatz de MÖTLEY CRÜE ? Un peu à la manière d’un KK’S PRIEST qui, en regroupant des anciens JUDAS PRIEST, se fixait immanquablement un objectif bien ciblé : faire la nique à son ex ! Séduisant, certes, très séduisant, même, tant les frustrations artistiques (et humaines) de Mick comme de John doivent être immenses, mais forcément limitant. Sans doute même étouffant. Et ce dont Mick Mars avait certainement besoin, après tant d’années à se faire diriger et réfréner, c’est probablement tout l’inverse : une autonomie complète. Sans pression. Bien loin du souvenir des sessions d’enregistrements de « Generation Swine », bien loin des fantômes de DJ Ashba et de John 5, qui n’étaient jamais très loin ces dernières années...

Et puis, a-t-on vraiment envie d’entendre Mick déblatérer sur le dos de Nikki comme Dave Mustaine le fait sur James et Lars depuis 40 ans ? Idem pour David Lee Roth et Sammy Hagar. Oui, c’est vrai, la haine peut être un puissant stimulant, mais il y a, dans cette incapacité dialectique à dépasser les événements, quelque chose de profondément ridicule. Sans compter que Mick ne dispose pas de 40 années devant lui. Récemment, il confiait penser vivre encore 7 ou 8 ans, dans ce corps qui n’est plus que souffrance. Pas plus. Alors, au-delà des problèmes juridiques avec le CRÜE, au-delà des désaccords, Mick va jusqu’à laisser la porte entrouverte à Tommy, Vince et Nikki pour composer, enregistrer et, pourquoi pas, jouer le temps d’un concert exceptionnel. Car le guitariste est fier du travail accompli au sein de MÖTLEY CRÜE et il assume tout ce que le groupe a fait, quatre décennies durant. Car il n’a pas envie de détruire cet héritage. Car il n’a pas envie de livrer un duel incessant et – forcément – stérile. Preuve de l’intelligence du bonhomme. Et puis, il n’y a plus de temps à perdre. Fécond, le guitariste de 72 ans a déjà composé plusieurs morceaux pour son deuxième album. Preuve qu’il n'y pas d’âge pour désirer et pour créer. Pour se libérer et vivre pleinement son existence. Bien sûr, la chronique du second disque suivra, mais plus tard, car au loin, la fusée vibre déjà sur la rampe de lancement. La turbine s’emballe, les gaz explosent dans la chambre de combustion, le kérosène s’enflamme et les moteurs grondent. Le bruit est assourdissant. Direction Mars, mais côté face cachée, pour découvrir ce qui s’y niche... 3... 2... 1... Décollage !

Premier single à être sorti, fin octobre, "Loyal To The Lie" fixe le cap, d’entrée. C’est lourd, c’est sombre, c’est puissant et l’on comprend vite que l’on nous ment depuis des années : la teinte rougeâtre et scintillante de Mars, c’est juste du bullshit ! Mars, c’est noir... comme la pochette de l’album. Mais pas anémique pour autant, car l’énergie noire constitue l’obscur moteur du guitariste... Pour d’autres, c’est le pouvoir. Et la manipulation qui va de pair. Mais "Loyal To The Lie" n’est pas une critique masquée des autres membres de MÖTLEY CRÜE. Ici, ce sont les pasteurs Jim Jones, David Koresh ou Charles Manson qui sont visés. Mais aussi leurs apôtres, dévoués à ces figures d’autorité, prêts à tout avaler... y compris le fatidique Kool Aid auquel faisait allusion ACCEPT sur l’album « The Rise Of Chaos ». Ce ne sera pas le seul point commun avec la formation germanique. Guitariste originel du groupe allemand – qu’il a cofondé avec Udo Dirkschneider – Michael Wagener avait été recruté par un certain Mick Mars pour officier derrière les consoles, lors de l’enregistrement du tout premier album du CRÜE, en 1981 : « Too Fast For Love ». Plus de 40 ans se sont écoulés et c’est bien le producteur et ingénieur du son allemand qui a mis en boîte le premier album de l’homme en noir : la boucle est bouclée.

Et le son est aussi moderne que massif. Sur "Broken On The Inside", la guitare de Mick agit comme un laminoir qui nous broie d’abord, avant de nous hacher menu. À vif. Rappel tragique de la maladie osseuse qui l’étrille de l’intérieur : la spondylarthrite ankylosante. La colonne vertébrale du guitariste fusionne et la voix de Jacob Bunton se désintègre dans une explosion de douleur. Le riff est lourd, avant que la guitare ne mute, peu à peu. Qu’elle ne se métamorphose jusqu’à se faire lancinante. Inquiétante, aussi. Comme un supplice qui s’immisce dans la moindre particule de son corps. Une diabolique torture qui ne prendra fin que lorsque la guitare déraille... et stoppe net. Quelques notes de clavier suivront, sur la piste suivante. Elles permettront à Mick de se ressaisir et de récupérer au mieux, après avoir été malmené de la sorte. Il n’empêche que le guitariste au chapeau se retrouve bien "Alone". Rien à voir avec le morceau des CRASHDÏET sur lequel il faisait une apparition, en 2007. Non, ici, on soupçonne une réflexion douce-amère sur la façon dont les choses se sont terminées avec le CRÜE : « Never thought that things would ever be this way, but it′s all over now / Je n'aurais jamais pensé que les choses se passeraient un jour ainsi, mais tout est fini maintenant ». Bien loin de certaines mièvreries enregistrées par MÖTLEY ("Whitout You", "Time For Change", "Brandon"...), le titre mid-tempo est chargé d’une réelle émotion. Plus loin, "Memories", ballade mélancolique au piano-voix et ses arrangements de cordes sont l’occasion de s’attarder sur le chanteur, Jacob Bunton, comme sur toutes les nuances dont il est capable. Multi-instrumentiste, producteur et compositeur, Jacob a fait ses armes auprès de MARS ELECTRIC, LYNAM, L.A. GUNS, mais aussi ADLER, le projet du batteur originel des GUNS N' ROSES. Et dès qu’il est entré dans le Blackbird Studio, les choses ont immédiatement fonctionné. Au point que la plupart de ses lignes de chant ont été enregistrées en une seule prise. Capable de jouer du côté des aigus, il a suffisamment de hargne pour soutenir les riffs lourds de Mick sur tous les morceaux – chantés – de l’album... sauf deux. "Killing Breed" est le premier d’entre eux.

La vox de Bunton est certes puissante, variée, mais elle est aussi un peu lisse. Sans réelle aspérité. Presque clinique. En parfaite adéquation avec le côté sombre, sobre et classe de l’album. Mais pour Mick, certaines chansons inécessitaient des ambiances un peu plus chargées d'angoisse et de désespoir que ce que le chant de Jacob ne permettait d’obtenir. Et c’est un certain Brion Gamboa qui a contribué à créer ces atmosphères plus pesantes. Etonnant croisement entre Paul Shortino, Jeff Scott Soto et Corey Taylor, Gamboa possède également quelques intonations que l’on croyait propres à Dee Snider. Il y a de la puissance, beaucoup de puissance, il y a surtout du grain, de la densité, du relief, éléments indispensables pour sonder l’âme humaine. En profondeur. "Killing Breed" raconte ainsi l’histoire de ceux qui ne peuvent vivre qu’en vidant les autres de leur substance vitale... et qui en réclament encore et toujours, quand bien même tout a déjà été siphonné. Jusqu’à vous rendre fou. Visiblement, le morceau a été inspiré par trois "chiffonniers" que Mick a côtoyé 40 années durant... Et la musique est au diapason des paroles : torturée, mélancolique et brutale. Bien soutenus par la lourde batterie de Ray Luzier (KORN, KMX) et la basse tout en groove de Chris Collier, les riffs surpuissants de Mick sont comme apaisés par les claviers de son ami Paul Taylor (WINGER, ex-Alice Cooper). Le son est carrément pachydermique et la voix de Brion Gamboa est somptueuse. Rocailleuse juste ce qu’il faut. Aurait-il mieux valu qu’il soit l’unique chanteur de « The Other Side Of Mars » ? Pas le temps d’esquisser le début d’un commencement de réponse que Mick nous propose une belle envolée, tout en finesse, pleine d’émotion, pour s’extraire du rythme assommant, presque doom du morceau. L’une des pépites de l’album, assurément. Rebelote sur "Undone", où Gamboa monte en puissance progressivement, tout au long d’un morceau qui n’aurait pas dépareillé sur l’album de 1994 (« Mötley Crüe ») et que Corabi aurait – lui aussi – interprété à merveille.

"Ready To Roll" aurait également pu figurer sur ce même album, mais cette fois-ci, c’est Bunton qui s’y colle ! À la croisée des chemins, Mick Mars y revisite son ADN heavy rock typé eighties avec des arrangements très modernes. Car le temps passe et le guitariste en a bien conscience : « The time is running out, and all hell is breaking loose. Yeah, I can feel it coming / Le temps presse et l'enfer se déchaîne. Ouais, je peux le sentir venir »... Un argument de poids pour accélérer le mouvement et adopter un "mode martial", afin d’être le plus efficace possible dans le laps de temps restant. Dès lors, pas étonnant que "Ain't Going Back Again" déboule sur des sonorités toutes "rammsteiniennes". C’est lourd, c’est teigneux, incisif... et léger à la fois : terrible ! Pas vraiment là où l’on attendait le riff-maker, pour qui ne connaît que son travail avec le CRÜE ! Car dès 2010, le guitariste faisait deux apparitions sur le « Women And Children Last » des MURDERDOLLS, emmenés par leur "monstrueux" leader, Wednesday 13, comme par leur batteur-guitariste : feu Joey Jordison. Une aventure forcément sanguinolente. Dans laquelle Mick Mars ne s’est pas retrouvé embrigadé par hasard. Nettement plus sombre et heavy que ce à quoi il nous avait habitué, les compositions du guitariste lorgnent parfois du côté d’ALICE IN CHAINS ou des STONE TEMPLE PILOTS. Le tout couplé à un imparable sens de la mélodie, parachevé par un son mammouth. "Right Side Of Wrong" en est la parfaite illustration, soutenu par un solo tout en sensibilité... que l’on aurait aimé plus long. Pas grave, Mick se réserve le final pour faire chanter sa Fender Stratocaster...

Inspiré par les films en noir & blanc des années 30, les ambiances fumeuses où se côtoyaient call-girls et détectives privés, "LA Noir" est un titre savoureux. Jeff Beck y rencontre Tim Burton dans un cabaret loufoque. Ensemble, ils mettent sur pied un "Dark Big Band" qui transpire le blues de la première à la dernière seconde, saupoudré de quelques accords de jazz mutilés. Nébuleux, burlesque ou sarcastique, l’instrumental touche surtout par sa sincérité, le blues étant l’influence majeure de l’homme en noir. Trente ans que Mick avait cette idée en tête... sans jamais rien en faire. Le départ du guitariste de MÖTLEY CRÜE, fin 2022, semblait marquer la fin d’une époque ; c’est plutôt le début d’une nouvelle ère. Car Mick n’est pas le grabataire que ses anciens camarades nous avaient dépeint. Moins Seul Sur Mars que Mars Attacks !, au final... Seul membre de la formation californienne à ne pas s’être investi dans un projet solo lorsqu’il faisait partie du CRÜE, Mick semble s’être ouvert un nouveau champ des possibles. Bien loin de l’univers pop et sucré qui l’a fait connaître, Mars nous révèle un tout autre aspect de son énigmatique personnalité. Et par-delà les singles, son premier album s’envisage véritablement dans son entièreté. Aussi varié que cohérent, c’est bien la somme de ces 10 titres qui donne la pleine dimension à cet album. Car inéluctablement, chaque morceau s’immisce dans votre cerveau et y creuse son sillon. Comme une empreinte. Une trace persistante qui s’amplifie à chaque écoute et ne cesse de prendre de l’ampleur, jusqu’à former un tout. Jouissif. Alors, après la face cachée de Mars, on se demande bien quelle planète Mick envisage désormais d’explorer...

Blogger : Stéphane Coquin
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Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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