15 avril 2014, 15:52

THE SOCKS : "THE SOCKS"

Album : The Socks

Non seulement avons-nous affaire à un excellent album de hard-rock tendance stoner/rétro/heavy psych, mais en plus un sursaut de chauvinisme vient épicer notre enthousiasme : peu importe l'étiquette de traçabilité de ce CD reçu avec un autre lot de nouveautés provenant du label Small Stone, toujours garant et digne d'excellentes productions. Mais lors de la découverte auditive de ce premier disque, nous apprenions alors l'origine de THE SOCKS : Lyon. Pas Lyon Arkansas ou Lyon Alabama ou Lyon-wherever-the-fuck-in-the-middle-of-the-US comme tant de bourgs perdus du Mid-West : non, Lyon, France, cette sorte d'hexagone un peu désoeuvré où la médiocrité a une fâcheuse tendance à tout saboter sur son passage. Lyon, point anecdotique sur une carte d'Europe ayant néanmoins retenu l'attention du boss de Small Stone à la réception d'une démo semblerait-il largement éloquente : peuple stoner, on signe !!! On signe un putain de quatuor de jeunes froggies pour qui le temps s'est définitivement arrêté en 1972 : looks, visuels, attitude, logo, pochette, photos... et son. C'est con, tout semble donc hermétique à quoi que ce soit ultérieur à 1972 - ils ne se donneront ainsi pas la chance de découvrir la suite des aventures de BLACK SABBATH... mais au moins le glam, le disco, la new-wave, le hair-metal n'auront aucune emprise sur eux. Pas plus que le numérique, Pro-Tool... et non, ils n'ont jamais écouté WOLFMOTHER.

WOLFMOTHER qu'ils enterrent d'ailleurs : la vieille louve est crevée, dead, fucked : voilà ce qui arrive lorsqu'on est trop sérieux, trop self-control, trop hype, et qu'on ne gobe pas assez de gouttelettes de trucs zarbis sur des bouts de buvards. Blague à part, après avoir parfaitement assimilé les saintes écritures du Sabbat Noir et du Pourpre Profond, les français ont épluché les rééditions des obscurs combos proto-hard-rock des années 1968-1971, trippant sec et grave sur les Sir Lord Baltimore, Bang, Power Of Zeus ou Buffalo. Et c'est évidemment, dans le fond et la forme, ce qui les rapproche inexorablement de cette scène rétro doom si fertile aujourd'hui, dont le cheptel de tête se compose des immanquables KADAVAR, ORCHID, UNCLE ACID & THE DEADBEAT, MAMMOTH MAMMOTH, WITCHCRAFT, et bien entendu GRAVEYARD, ces derniers suédois étant musicalement au plus proche de nos lyonnais que l'on voudrait encore plus s'approprier pour nous que les ricains - fière emblème de gallinacés oblige. GRAVEYARD donc, dont le "Hisingen Blues" semble avoir été le porte-étendard de toute notre nouvelle génération d'amoureux pot-smokers, freaks et stoned-gatherers comme on dit... GRAVEYARD qui a pondu avec ce disque un mètre-étalon définitif : pas vraiment du stoner dans le sens académique (!?!) du terme, mais une volonté farouche de perpétuer l'esprit, pur et intègre, de l'aube des seventies : power-trios fougueux et violents, sauvageries rythmiques annonçant MOTÖRHEAD et faisant passer LED ZEPPELIN pour des anglais snobs inoffensifs, voix menaçantes et érodées, jams lysergiques chimiques, arrangements paradoxalement dentelés à base de Mellotron, et dosages incandescents d'orgue Hammond maltraité. GRAVEYARD avait donc tout ça au programme, et derrière -plus exactement à côté- THE SOCKS en est la meilleure incarnation. 

Démarrant l'album avec un "Lords Of Illusion" clôturant la décennie 60's avec une voix filtrée et des ambiances plutôt psychédéliques, on bascule très drastiquement dans le rock fort, très très fort, de 1970 : BLACK SABBATH et DEEP PURPLE ont apparemment bien niqué ensemble, et Julien Méret, hurleur en chef, s'égosille -son timbre de voix trempé dans un acide concocté par Timothy Leary évoque aussi bien Eric Wagner de TROUBLE, qu'un Roky Erickson qui n'aurait pas rencontré que des aliens, mais bien le Diable lui-même. Speaking Of The Devil, tiens : l'effroi et la menace tremblotant quelque peu dans cette même voix ferait presque passer celle d'Ozzy Osbourne lors des deux premiers couplets de l'éponyme "Black Sabbath" pour une innocente chanson d'amour : ça pue le soufre dans "Some Kind Of Sorcery". Il y a du danger, croyez-moi. De l'urgence. Du vécu. On ne sait pas encore si leur mode de vie s'avère aussi border-line que celui d'autres frenchies ravagés comme les AQUA NEBULA OSCILLATOR, mais on s'inquiète : comment, des sorciers à Lyon ?

Comment se fait-il d'ailleurs que ce groupe n'était pas renseigné ? Aucune fiche ? Personne pour témoigner ? Allô ? Quelqu'un pour raconter ? On a joui plusieurs fois tout au long de ce premier LP : c'est tour à tour très méchamment frondeur et hargneux, puis évidemment plus léthargique et doomy, sans pour autant être chiant ni endormi, attention ("New Kings", intention despotique ?), on touche au heavy impérial et majestueux sur "Holy Sons", autant que "We Live" s'impose comme déclaration d'intention dans un tonnerre de toms, de cymbales, de basse grondante et de power-chords arrogants. La puissance dévastatrice est effrayante : pas étonnant que l'album ait été masterisé à Ann Arbor : un signe, kids... Parfois plus subtil et dangereusement bluesy sur l'ultime "The Last Dragon", rehaussé de batailles entre rythmiques et orgue tantôt saillant tantôt mourant, avant qu'une dernière salve épique vienne anéantir l'auditeur pourtant chevronné - ce final de toute beauté confirme une dernière fois un sentiment fort : on ressort de chaque écoute de "The Socks" encore plus séduit et terrassé que la précédente, avec le sentiment de tenir quelque chose de singulier et de très précieux. 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK