18 mai 2014, 21:48

Fishbone @ Paris (Le Petit Bain)

Nos confrères de Télérama avaient présenté cette date comme "immanquable". FISHBONE n’est pas un groupe rare, mais il entretient certainement un rapport singulier avec la France – depuis sa prestation des Transmusicales, en 1987, qui avait lancé sa carrière européenne. HARD FORCE était partenaire de cette date au nom de l’influence quasi-universelle que les Californiens exercent (Angelo C. Moore en tête), depuis maintenant 35 ans, sur des générations entières de musiciens de tous styles.

Apparemment échaudé par un public moyen, la veille, à Colombes, juste de l’autre côté du périph’, FISHBONE a voulu s’assurer que la pression serait à son comble, dans un Petit Bain à guichet fermé qui annonçait le concert à 20h30. Vers 21 heures, l’assistant/tech/garde du corps français des Américains (nous l’appellerons Fonzie parce qu’il a vraiment la classe) annonce encore une bonne demi-heure d’attente à un public déjà quasi liquide : « Vous pouvez sortir fumer des clopes, mais soyez sympa, commencez pas à chambrer les gens qui n’ont pas pu rentrer, ils sont pas super contents… ». Vers 21h30, Fonzie revient et effectue un slam-check, tout en souplesse : le public massé devant la scène le réceptionne parfaitement, le fait surfer, ravi, quelques secondes, sur la petite foule bien dense, et le repose comme une fleur sur les planches. Depuis près d’une heure, les « FISHBONE ! FISHBONE ! » du public ne se sont jamais vraiment interrompus. Plus personne n’a un poil de sec. Et les plombs n’ont pas encore sauté…

La "Party (at Ground Zero)" débute enfin à 21h50. Dès le départ, au pied de la scène, la ferveur des fans les plus tapés est communicative, implacable, irrésistible : ça dépasse tout ce qui se produit dans les cinq premiers rangs d’un concert d’INDOCHINE ou de KISS, par exemple (ah si : il y en a à qui ça parle et d’ailleurs on a les noms).

Comme les titres s’enchainent, tous plus fous les uns que les autres (cette version frapadingue de « Lyin’Ass Bitch » !), celui qui découvre FISHBONE en live s’étonne peut-être que ce ne soient pas BODY COUNT, les RED HOT, WAS (NOT WAS), KIEMSA, LA MANO NEGRA ou encore A TRIBE CALLED QUEST qui se percutent en un jam immense sur la scène minuscule. Il se rappelle sûrement que depuis la fin des années 1970, FISHBONE explore, défriche, fait consciencieusement exploser toutes les barrières qui auraient pu exister, mettons, entre la Motown et Nuclear Blast, au profit de la communauté des musiciens et pour le plus grand plaisir de son public. Derrière les basses, aux trompettes et bien sûr au centre de la scène, qui jongle avec des sax de toutes tailles, John Norwood Fisher, « Dirty » Walter Kibby et le fascinant Angelo Moore : les « grands frères » d’Ice-T, dans le South Central Los Angeles des années 80. A la guitare, le Rocky George qui a joué plus d’une décennie avec SUICIDAL TENDANCIES. Ca tape dans tous les sens, très fort, de plus en plus fort.

Après seulement une poignée de morceaux, à la fin de « Another Generation » : noir total. Plus de jus dans le Petit Bain. Les « Fishbone Soldiers » reprennent les scansions du morceau, en boucle. L’électricité va revenir, mais manifestement, pas la clim… Le public n’a pas arrêté une seconde de manifester, de réclamer un bœuf acoustique, dans le noir… Le set reprend pourtant avec le mythique « Everyday Sunshine ». Sur ce morceau, entre tous, les micros passent de main en main, des musiciens aux fans : il y a notamment là un beau barbu tatoué, le crâne rasé, torse nu, qui n’a pas l’air d’avoir particulièrement peur de la bière et que le pit de la Warzone du Hellfest ne renierait pas. Il beugle autant qu’il le peut, lui qui a peut-être déjà slammé 20 fois, 30 fois, 100 fois, embrassé tous les musiciens chacun à son tour. Quelques instants plus tard il s’écroule, le dos sur la scène, les bras en croix, ivre, terrassé par le bonheur. Fonzie fait quand même un peu la police, autour des hommes et de leurs précieux instruments cuivrés, quand ça lui prend : la courtoisie qu’il y met et le plaisir qu’il y prend symbolisent l’ambiance du soir.

Au fur et à mesure qu’Angelo et Jay Armant dévoilent leurs corps, l’expérience devient ouvertement sexuelle. Bientôt, il sera impossible de distinguer la scène de la salle, les artistes de leur public : fusion. Voici les véritables coups d’épilepsie synchrones si chers à Gainsbarre. Jay Armant pose son trombone et se suspend au plafond ; comme Angelo Moore et Paul Hampton (le dernier qui a rejoint l’aventure FISHBONE, aux claviers), à plusieurs reprises, il ira bientôt surfer la petite mer humaine démontée qui rugit à ses pieds.

Les moments les plus forts ? Une version épique de « Freddie’s Dead » où la section rythmique s’illustre en duo, avant d’être rejointe par les cuivres ; quelques morceaux (« Crazy Glue », « Unstruck » et « Alcoholic », peut-être…) pendant lesquels, Rockie George ayant déserté la scène, John Norwood Fisher semble assumer à la fois une ligne de basse et des parties de guitare affolantes ; « Sunless Saturday » pour l’apothéose… Se levant derrière ses fûts à la fin de ce morceau, alors que tous les autres ont déjà rejoint la coulisse, John Steward ouvre une canette à la santé du public, la vide d’un trait et se retire à son tour dans des clameurs indescriptibles.

Les « Fishbone Soldiers » attendent « Kung Fu Grip » et le font savoir : ce morceau, issu du plus récent EP de FISHBONE, « Intrinsically Intertwined », n’a jamais été joué en live. Il figure sur les set-lists disséminées sur la scène, mais il a été « oublié », juste avant « Sunless Saturday ». Même ceux qui ne savent pas pourquoi finissent par hurler « Kung Fu Grip ! Kung Fu Grip ! Kung Fu Grip ! » jusqu’à ce que les musiciens reviennent pour le bouquet final : « The Goose ». Puis « Kung Fu Grip ! KUNG FU GRIP !» Non ! C’est « Behind Closed Doors »… « KUNG FU GRIP ! KUNG FU GRIP ! » alors ? Toujours pas ! Mais « Ma & Pa » ne calme personne ! Fonzie est partout, tente de gérer tous ceux qui veulent leur dernier slam… tous en même temps… Angelo se jette encore dans la fosse, manque de très peu de finir à poil : sa combinaison détrempée a bien failli rester dans l’arène alors qu’il était remonté sur scène… heureusement Fonzie veillait… Et « Kung Fu Grip » viendra effectivement conclure, comme un ultime cadeau aux Parisiens, un concert de presque 2h20, sérieusement barré, violemment joyeux.

Deux leçons : pour faire un concert vraiment fou, il faut un public qui lâche complètement prise ; pour en arriver là, rien de mieux que l’attente – où réside déjà le plaisir. Une partie d’explication à l’attitude de plus en plus consumériste et froide de bien de publics de festivals, que l’on gave au millimètre, un groupe après l’autre, à la seconde près, sans qu’ils aient besoin de s’exciter, de désirer les artistes, de les convoquer dans les cris et la fureur ? Un début d’explication au fait que, de plus en plus souvent, aux dates les plus diverses, les têtes d’affiches reviennent jouer deux ou trois morceaux, comme un dû, à des fans qui ont arrêté de les rappeler depuis plusieurs minutes ? Si vous allez au concert, il faut gueuler, les gens. Toujours : gueuler, gueuler, gueuler. Merci FISHBONE, bravo au public - et inversement.

Galerie photos ici.

Fonzie (au deuxième plan qui tend le bras) méritait bien d’avoir sa photo dans HARD FORCE.
Blogger : Naiko J. Franklin
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