9 juin 2014, 21:53

ABINAYA : Igor Achard

Il est dit que la beauté de la musique réside dans sa diversité et sa richesse, deux termes de circonstance quand il s'agit de parler de la musique d'ABINAYA, groupe OVNI dans le paysage metal français qui revendique une nouvelle fois son metal ethnique avec un nouvel album : "Beauté Païenne". Ethnique, païen, français... Vous avez du mal à suivre ? On en parle ci-dessous avec le maître à penser de la bande Igor Achard.
 

Vous définissez la musique d’ABINAYA comme du "metal ethnique", comment est né ce concept musical ?
Ou du "metal tribal" ! Je dirais que le chemin s’est fait en marchant. On n'a jamais rien calculé, ce n’est pas un plan marketing. On a commencé le tout premier album en 2004, avant même que je rencontre Dumbo (Nicolas Vieilhomme) et André Santos. Avant ça, il y avait toujours eu de la percu, dès le début et même si on était dans du rock plus tranquille, plus alternatif. Il se trouvait qu'André rentrait tout juste du Brésil, il ne parlait même pas français, Dumbo lui était branché dans des groupes de metal extrême. Moi j’écoutais beaucoup de SUICIDAL TENDENCIES, par conséquent déjà de la fusion. Après on a complètement basculé dans le metal, André maitrisait la technique de la double donc c’était impeccable. Petit à petit nos compositions se sont axées autour des rythmiques tribales et de la percu de Nicolas Heraud. Avant les percus étaient un habillage, maintenant elles sont devenues le cœur rythmique de nos compostions. Pour l’aspect texte aussi on mélange metal et ethnologie, avec les Arawaks, le paganisme ancien… c’est venu naturellement, il y a aussi des références à SOULFLY et SEPULTURA.

Le chant est en français, plutôt rare pour un groupe metal, d'où est venu ce choix ?
C’est délibéré. Déjà premièrement pour chanter en anglais il faudrait tout traduire et je n’ai pas le niveau de Shakespeare, les nuances poétiques des textes sont vraiment particulières. Deuxième chose, je n’ai pas un accent qui est fracassant. Et puis surtout j’aime la langue française et c’est un vrai challenge. Curieusement, cela avait déjà été le cas pour l’album "Corps" et c’est encore plus le cas pour "Beauté Païenne", les premiers magazines qui ont parlé de nous sont étrangers : avec Terrorizer Magazine il y a 2 mois, Zero Tolerance Magazine à Londres, Rock Hard Italie, Rock Hard Grèce… c’est après que la presse française a réagi.

Justement, vous avez reçu beaucoup de critique positives de la part de la presse étrangère, est ce que tu t’attendais à cela ?
Pas du tout, et c’est vrai que c’est curieux. C’est Sakis Fragos le rédacteur en chef de Rock Hard Grèce qui nous a fait une chronique à 8/10, et qui a écrit "le metal français en ce moment est bouillonnant". Que des grecques disent ca, c’est que cela correspond à la réalité. Selon lui "il bouillonne" mais surtout "il a une patte originale". Quand il a ouvert l’album d’ABINAYA il ne s’attendait pas à entendre du français et je crois même que c’était la première fois qu’il entendait chanter français. Car quand tu lis l’article il dit qu’il ne connait pas du tout cette langue et qu'il était décontenancé… il finit en disant qu’au bout de 3 ou 4 écoutes, ça colle super, et là c’est pour nous c’est un compliment extra. Donc étrangement la principale difficulté avec la langue française, c’est en France. Les français sont habitués à l’anglais et je connais même des metalleux qui ne veulent pas traduire l’anglais par peur d’être déçus..

Vous avez enregistré votre 3éme Album "Beauté Païenne" aux États-Unis, peux-tu nous parler de cette expérience ?
Bien sûr, avec Kevin Pandele notre ingé son pour "Corps". On avait enregistré cet album dans le chalet de mon père dans les Alpes, on s’était enfermé 15 jours avec les tapis et les amplis à huit, pendant que ma mère faisait des pizzas à côté avec des boules quies c’étais marrant. Kevin a bien marché car il fait du bon son et il est parti ouvrir son studio à Philadelphie, le Damage Room Studio. Je tenais vraiment à travailler avec lui car il fait des riffs herculéens, à son image, et aussi parce que c’est quelqu’un de très exigeant qui te pousse dans tes derniers retranchements, il t’oblige à sortir le meilleur de toi-même. Après il faut traverser l’Atlantique, c’est cher mais il nous a tellement rabattu le prix du studio que je pouvais m’offrir le billet, les garçons eux ne pouvaient pas et donc nous avons enregistré basse, percu et batterie à Planet Live Studio à Bondy. Et moi je suis parti à Philadelphie l’été dernier et c’était un vrai bonheur quinze jours non stop pour un petit frenchie comme moi !

"La beauté païenne c’est la beauté de la tolérance et de son foisonnement." - Igor Achard

Il y a beaucoup de relief dans les compositions, chaque membre apporte sa griffe ?
J’amène toutes les mélodies, mais on compose beaucoup avec Nicolas Vieilhomme, il donne une couleur spéciale à la batterie. Des fois je vois quelque chose en mid tempo et lui il me le fait en thrash, on décide à la fin. Il y a le titre "Nord Sud" dont les paroles ont été composées par Nicolas Heraud le percussionniste, c’est un titre un peu différent mais il avait le texte en poche et il lui fallait une musique. Concernant le relief comme tu dis, quand je compose les mélodies, j’essaye vraiment de ne pas faire qu’une simple déclinaison. Quand j’étais gamin j’adorais ACCEPT, notamment "Restless and Wild" où il y avait de la grosse baston et puis une ballade sans disto avec de la batterie très légère, la voix de Udo qui redevient calme et des guitares quasiment médiévales, et là je me disais quelle classe, comment ils sont capables de faire cela ! On était déjà parti dans un délire comme celui la avec du violoncelle sur "Corps".

Qu’est ce qu’une / la beauté païenne ?
A priori on se dit que la beauté païenne c’est la beauté du corps, les dieux Grecs ou Scandinaves il n’y a pas plus beau. Avec la religion chrétienne c’est plus pareil, c’est plus austère et recroquevillé. On s’est orientés vers le paganisme ancien parce que le fond du metal est là. Quand j’écoute AMON AMARTH ou Týr, c’est évident, mais avec des groupes plutôt sataniques quand on sait qu’au moyen âge le diable cornu était en fait un ancien dieu que les chrétiens avaient transformé, on est toujours dans une tradition païenne. Le paganisme est d’autant plus intéressant pour son polythéisme, on pouvait ajouter ou retirer un dieu il n’y avait pas de problème. Aussi pas de texte révélé mais tout se transmettait de bouche à oreille. Cet album est une sorte d’hommage aux anciens et à leur tolérance, nous sommes dans une démocratie mais nous en manquons. Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation et avec le contact de tous les grands monothéistes, nous nous heurtons à des violences terribles et nos sociétés se déchirent. La beauté païenne c’est la beauté de la tolérance et de son foisonnement.

Tu me dis si c’est trop personnel mais est ce que le paganisme est quelque chose que tu ressens vraiment ?
Oui c’est quelque chose que je ressens vraiment. Déjà j’ai grandi dans une famille très branchée sur l’Inde, avec mes parents on a voyagé là-bas. Aussi mon père était prof de yoga et il le pratique toujours. Les extrémistes vont dire que si tu oublies tes racines tu vas tomber dans une pensée métissée et dégénérée… mais au contraire ! C’est en allant le plus loin possible dans les racines et les identités qu’on va vers la tolérance.

Un mot sur la pochette ?
Elle a été faite par Vincent Fouquet d’Above Chaos. Il a travaillé pour BENIGHTED et LOUDBLAST, il a aussi fait des t-shirts pour le Hellfest, bref c’est quelqu’un qui est dans le circuit. Il est dispo et il est super efficace, on peut lui présenter les idées les plus délirantes et ça va toujours le faire. Donc on a voulu créer une bête qui fasse une sorte de synthèse de tous les paganismes : la tête de cerf est nordique, le corps est Grec ainsi que le temple dans le fond, la multiplicité des bras rappelle bien sûr Chiva… c’est une synthèse de la beauté païenne.

"On vit dans une période pleine de tensions et on devrait se replonger dans la morale des anciens, je pense qu’ils nous donneraient de bonnes leçons." - Igor Achard

Est-ce que pour toi engagement, poésie et musique sont trois éléments liés ?
Complètement, c’est la même chose. La poésie que j’apprécie c’est celle de Rimbaud et Baudelaire. Quand on dédie un titre à Jules Valles c’est un acte engagé. L’esthétique païenne est aussi un engagement, en fait tout se rejoint car l’univers païen aboutit sur la politique, l’intolérance mène aux problèmes religieux. On vit dans une période pleine de tensions et on devrait se replonger dans la morale des anciens, je pense qu’ils nous donneraient de bonnes leçons. Et là le metal à un gros rôle à jouer culturellement, contrairement au rock… "sex, drugs and rock’n’rock" il n’y a pas cet univers historique branché sur la culture. Tu vois IRON MAIDEN ils se sont pris la tête sur l’Egypte. Le metal contrairement à ce qu’on pourrait croire est la musique la plus cérébrale qui soit où il y a le plus de références culturelles, et c’est ce qui me plaît.

Quelle est ton point de vue sur la scène metal française ? Quelles sont les groupes que tu apprécies le plus ?
Je te parlerai des groupes avec lesquels j’ai partagé la scène : ENEMY OF THE ENEMY, un groupe de Paris qui a été mixé par Stéphane Buriez. Ils sont aussi dans la fusion et j’aime beaucoup. Sur Grenoble j’adore AMON-SETHIS, un groupe branché sur l’Égypte ancien comme le nom l’indique, un univers très intéressant. Comme le disait Sakis Fragos, la scène française bouillonne vraiment, la qualité du son et la production augmentent de partout, c’est plus comme dans les années 80 où on avait l’impression que c’était un peu mou du genou, maintenant le niveau est là. Le goulot d’étranglement se situe au niveau du booking et la on sent que ça freine, les bookers français sont frileux et timides… même les magazines d’une certaine manière.

Est-ce que tu es confiant sur l’avenir ?
Apparemment sur Paris ça à l’air un peu difficile pour le public, ce n’est pas évident de remplir les salles, même pour des gros groupes. Les gens ont aussi un peu moins de braise dans les poches, c’est la crise qui touche tout le monde, certains vont être asséchés par le Hellfest qui coute 190€ et après plus d’autres concerts. Il ne faut pas perdre cette veine du dynamisme français, il faut que d’autres noms sortent.

Le mot de la fin est pour toi…
Déjà merci, content de travailler avec vous. Et que la belle histoire se poursuive, qu’ABINAYA continue de partir de plus en plus à l’étranger, c’est comme ça que les groupes français peuvent grandir. Aussi que le public français soit fier de ses groupes, comme les allemands le sont pour les leurs, les anglais aussi sont très chauvins… on doit développer cela et ne pas avoir de complexe, terminé. En fait le mot de la fin c’est ça, NO COMPLEX !

Blogger : Jérôme Graëffly
Au sujet de l'auteur
Jérôme Graëffly
Nourri dès son plus jeune âge de presse musicale, dont l’incontournable HARD FORCE, le fabuleux destin de Jérôme a voulu qu’un jour son chemin croise celui de l'équipe du célèbre magazine. Après une expérience dans un précédent webzine, et toujours plus avide de nouveautés, lorsqu’on lui propose d’intégrer l’équipe en 2011, sa réponse ne se fait pas attendre. Depuis, le monde impitoyable des bloggers n’a plus aucun secret pour lui, ni les 50 nuances de metal.
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