20 juin 2014, 20:26

Mon Enfer - Part.1 @ Hellfest (Clisson)

Hors de question, en ce qui me concerne, de chercher à tout me taper. Si ma curiosité est extrêmement vive sur disque - j’écoute tout ce qui me passe sous la main -, en live la sélection est plus rude, même si l’on écartera jamais un enthousiasme soudain pour l’imprévu, la baffe qui ne prévenait pas et les rumeurs bruissant de part et d’autre. 
Chacun aborde le festival comme il l’entend : ici ce sera comme des vacances, annuelles et familiales où, plutôt que de chercher à voir 160 groupes en 72 heures, on se fera une petite sélection de choix, en mode pépère. M’enfin pas tant que ça : si l’on est plutôt habitué à des Sheraton, Marriott et autres Intercontinental en guise de couche nocturne, le Hellfest se déroule en meute et, soupir, au camping. Brrrrr. Comme bon nombre d’entre nous, pas de douche (vive les lingettes bébé - re-brrrrrrr), pas d’hygiène alimentaire, pas de sommeil, pas de répit et beaucoup d’alcool. Roots, euh, bloody roots. 

Le Hellfest, c’est pour nous, pour vous, LE rendez-vous annuel, que l’on attendait depuis gamin et qui nous rend dingues de bonheur depuis ces dernières années. Mais outre un festival de musique, c’est aussi un mode de vie, presque une philosophie, l’envie de passer du bon temps entre amis et en faisant les cons, en étant insouciants et stupides, un terrain de jeux monumental pour adulescents qui, même si nous nous autorisons trèèès régulièrement de bons pétages de plombs jackassiens au cours de l’année, reste une occasion unique pour se réunir et vivre à un rythme différent. Où nous aurons la joie suprême de perdre un bon nombre de neurones, d'audition, et quelques mois en moins sur notre espérance de vie.

Bah, live fast die young, uh ?

Et de ce fait de vouloir profiter pleinement de notre récréation préférée, autant la vivre au rythme de notre choix, entre errances, pauses apéro, visites aux copains au coin VIP, marché, plages repos dans l'herbe à l'ombre (jadis à l'abri), et donc programmation personnelle des concerts et ne pas forcément vouloir TOUT voir comme autrefois où, tel un jeune loup fougueux, on voulait voir toutes les premières parties et toutes les affiches possibles et inimaginables... Après quelques centaines de concerts, non, les groupes de grind vénézuéliens, de death biélorusse ou de metalcore japonais (cherchez l'intrus), ce n’est plus vraiment ma tasse de Jack - blague à part, on zappera bon nombre de groupes, ne mettant quasiment pas les Rangers sous l'Altar ou la Temple. Désolé, mais pour moi, l'extrême se limite désormais à quelques bons disques d'ENTOMBED, SATYRICON, OBITUARY ou quelques dizaines d'autres bonnes choses old school bien fort dans mon salon. Et juste fuck les voisins.

On ne reviendra pas sur le gigantisme, la démesure et la beauté du site : tout a été dévoilé et montré - aucun festival n’arrive à la cheville du HELLFEST en terme d’organisation, d’esthétique et de singularité. 
Si chaque année l’appréhension des caprices météorologiques est vive dès les premières estimations à J-10, 2014 aura vu les pôles s’inverser : bordel, dès le vendredi on en venait presque à souhaiter les 18° maximum des éditions précédentes, l'humidité nocturne (oh oui) ainsi que les douces averses fraîches et quotidiennes descendre des cieux pour refroidir nos cuirasses rougies. C’est bien simple, tous les vétérans sont ce week-end ramollis, victimes d’un bon coup de chaud et de vieux, l’entrain freiné par la canicule et la poussière : chaque mosh-pit génère des tourbillons de tempêtes sub-sahariennes et les moindres spots d’ombre sont squattés par des grappes de chevelus tous de noirs vêtus, tels des boat-people hébétés.


DAY 1 : FRIDAY ON MY MIND 

Après l'arrivée sur le camping, notre installation et un lourd apéro annonçant l'ouverture des hostilités et le traditionnel jeudi soir dont on ressort au moins aussi peu indemne que l'ensemble des trois jours suivants, une courte nuitée (ça sera trois heures en moyenne, comme d'hab') ponctuée par les escouades anti-sommeil, nous étions parés à nous diriger à temps sous la Valley pour notre tout premier concert de la cuvée 2014. Mais, accompagnant tous les copains, on ne bénéficie pas de notre entrée express privilégiée et passons donc cinquante minutes dans la queue menant à l'espace fouille et sécurité de l'entrée du site du festival... Une heure pendant laquelle nous entendons résonner les salves stoner des bordelais MARS RED SKY que nous avions défendu et que l'on s'était juré d'aller voir... en vain. Une fois arrivés, plus grand chose ne nous intéresse finalement, et nous subissons entre autre l'épouvantable metalcore des japonais de CROSSFAITH - une abomination sans nom. On préfèrera aller au Metal Market acheter des vinyles et aller boire quelques coups, plutôt que d'attendre bêtement devant des scènes où rien ne se passe d'intéressant pour nous - ce début de vendredi est pour nous bien tiède.
    
Première grosse attente de la journée, c’est bien Billy Milano et son M.O.D complètement remodelé qui assurera un set certes pataud mais énergique, gonflé par une basse typiquement crossover 80s rappelant les cavalcades rutilantes des productions Alex Perialas d’antan. Sous un ridicule backdrop de la taille d'une petite serviette de plage tant M.O.D est habitué aux tout aussi minuscules clubs du circuit, Milano, aussi gras que laid, semble s’être considérablement assagi et propage même des messages d’amour et de respect pour les uns et les autres - limite flower power, alors que jadis l’ex-skinhead provoquait à tout-va avec son humour grinçant et ses propos polémiques. N’empêche, se reprendre des “No Glove No Love” ou “In The City” (reprise de FEAR, pionniers du punk hardcore US !) issus du monumental “Gross Misconduct”, c’est revivre ses 14 balais, ou encore ce premier concert des Method Of Destruction vu à Bordeaux, au Dorémi en septembre 1994... La seconde moitié du set est quasiment dédié au trentième (!!!) anniversaire du “Speak English Or Die” de S.O.D et Milano en offre opportunément de copieux extraits (“Fuck The Middle East”, “Pussy Whipped”, “United Forces” et bien sûr “Speak English Or Die”...). Drôle d'impression toutefois que de voir ce bonhomme vieillissant mettre tant d'eau dans son vin. La sagesse ?

L’une des grosses claques de la scène Valley, c’est bien le power-trio formé par les Allemands KADAVAR qui, s’ils nous avaient gentiment convaincus sur leurs deux très bons premiers albums, prennent littéralement une nouvelle dimension en live, s'inspirant avec magie, intensité et doux parfums vintage de l’atmosphère de BLACK SABBATH de 1969 à 1971, oh, grand maximum, sans pour autant ne jamais sacrifier la moindre once de personnalité, fait plutôt rare lorsque la musique est à ce point similaire. Grande, très grande performance qui aura fait l’unanimité auprès de tous les stoner-freaks de la tente...

Petit passage curiosité devant la Mainstage pour le concert de POWERMAN 5000 : d’un autre temps, où néo-metal, remixes et power-metal cybernétique régnaient sur la seconde moitié des années 90, le groupe de Spider, petit-frère de Rob Zombie, parvient néanmoins à accrocher une audience respectueuse et rentrant bien dans le set : moins ringard et daté qu’on aurait pu l’imaginer, l’univers de POWERMAN 5000 est en fait surtout constitué de bonnes chansons accrocheuses, plus élémentaires et simples encore que celles du grand-frère.

Grand-frère que l’on retrouve non sans crainte une heure plus tard : il y a deux ans, le concert de Rob Zombie au Hellfest avait été une catastrophe, une arnaque, une injure, une sombre merde. Qu’attendait-on donc aujourd’hui de ce personnage aussi peu sympathique que prétentieux ? Forcément mieux, car de mémoire de concert, rarement avais-je été aussi déçu par un artiste écouté depuis plus de vingt ans ! Si l’on préfère et WHITE ZOMBIE (de loin !!!) et ses talents de metteur en scène ("The Devil’s Reject" est un chef d’oeuvre, le dernier "Lords Of Salem" pas mal non plus dans son genre...), la carrière solo du bonhomme s’avère depuis une grosse quinzaine d’années aussi intéressante que très inégale : pas mal de gros tubes immédiats et faciles, mais trop de remplissage et une énorme perte d’inventivité, de personnalité, de génie, de folie et d’authenticité. Heureusement, aujourd’hui vendredi Rob Zombie est en forme et parait moins essoufflé qu’en 2012 lors de son minable concert express (car bien amputé) : meilleur chant, communication très correcte avec le public (zéro il y a deux ans, frôlant le j'm’en-foutisme et l’impolitesse !) et quelques surprises inattendues dans la set-list (le "Am I Evil" de DIAMOND HEAD popularisé par METALLICA, et des bouts de reprise de “Enter Sandman” et “School’s Out” lors d’un medley avec le “Thunder Kiss ’65” du Zombie Blanc. Si ceux qui étaient présents au Bataclan la semaine précédente semblent tous être unanimes sur la supériorité du show parisien, au moins ravalons-nous notre rancoeur cet après-midi et goûtons enfin avec plus de plaisir aux hits que sont “Living Dead Girl”, “Dragula” et surtout “More Human Than Human”, même si nous ne verrons sans doute jamais l’énorme scénographie des tournées américaines : nous devons alors nous contenter d’affiches géantes de légendes des films d’horreur black&white, de costumes plutôt ridicules et de podiums enjambés par Robby... snif, pas de pyro, de monstres, etc...

De monstres, il faudra par contre peut-être qu’IRON MAIDEN pense un jour à arrêter d’embaucher l’échassier déguisé en ce vilain Eddie enrobé de papier mâché : c’est très embarrassant, même pour les grands enfants pas encore blasés que nous sommes. OK pour le Eddie “Seventh Son” et son foetus gigotant, bof bof pour celui issu de la pochette intérieure du même album, mais là, le mousquetaire ou flibustier de 3 mètres venant péniblement arpenter la scène, ce n’est absolument plus possible... Tout comme les backdrops tirés comme des rideaux à chaque chanson : si cela fait partie du "charme" des concerts d’IRON MAIDEN, il y a un petit goût ridiculement daté derrière tout cela, surtout à l’ère des écrans numériques HD géants... Néanmoins, les Anglais auront toutefois été une nouvelle fois impériaux ce soir, recréant la magie de la tournée de Maiden England -1988, donc...- et par conséquent celle de Bercy exactement un an auparavant.

Ah, autre chose : organisons-nous pour monter une pétition en vue d'éjecter définitivement ce pitre de Janick Gers - la "danseuse" nous les brise menues depuis 25 ans, n’apporte strictement rien sinon bêtement attirer l’oeil avec ses poses grotesques, éclipsant par moments l’incroyable classe d’Adrian Smith. Trois guitares ? Come on... revenons s'il vous plait à la stricte complémentarité essentielle de Smith et de Dave Murray... Par pitié Janick, prends-toi ta Strato dans la gueule quand tu la lances en l’air, ou claque-toi un abducteur de la cuisse gauche lorsque tu poses ta jambe sur le décor : tu es un âne. Voilà, c’est dit, au nom de tous les fans de MAIDEN qui souffrent. Bruce Dickinson a quant à lui dirigé le show avec son légendaire entrain, aussi classieux que cabot, oscillant entre maestria et humour anglais décalé (pléonasme), tout en jouant les commentateurs sportifs pendant le match France-Suisse, jouant à fond la démagogie sur les terres clissonnaises, et assurant le show avec fière allure, n'économisant ni son souffle ni ses jambes, accusant à peine quelques petites faiblesses vocales ci et là, mais restant ce putain de frontman qui tient plus de 40 000 personnes dans la paume de sa main. Les autres ne sont pas en reste (sauf Gers) et distillent avec autant d'énergie les hits de la soirée, tous plus efficaces les uns que les autres, mes préférences allant au "Phantom Of The Opera", "The Number Of The Beast", "The Trooper", "Fear Of The Dark" (à l'instar des 40 000 autres gorges déployées), ou encore "Run To The Hills... et d'un point de vue strictement émotionnel, "Moonchild" qui a représenté pour moi ma toute première introduction au monde du hard-rock, alors vierge de la moindre sensation métallique en ce beau début d'année 1989.

La claque du jour est infligée par SLAYER. Après les avoir vu cent fois (ou presque...), j’avoue avoir senti ma motivation baisser d’un cran après tous ces bien tristes évènements (décès de Jeff Hannemann, départ contraint de Dave Lombardo, merde quoi !). Mais par respect pour le groupe, son patrimoine, les souvenirs de toutes ces violentes gifles infligées mais aussi pour Paul Bostaph et Gary Holt, je devais y retourner... Et de la fosse de la Mainstage 2, la folie a pris possession de mon corps : rarement avais-je autant pété un plomb pendant un set, la dernière fois étant sur PRONG l’an dernier... La vache ! Début de set-list super old-school (“Hell Awaits” !!!!!!!! “The Antichrist”, “Necrophiliac”, “Captor Of Sin”), puis inévitables classiques (“War Ensemble”, “Seasons In The Abyss”, “Dead Skin Mask”, “Raining Blood”, “South Of Heaven”, “Angel Of Death” entre autres !), seul le nouveau “Implode”, extrait de l’album à venir, fait quelque peu retomber la pression. Mais Araya aura été mons-tru-eux ce soir et les autres auront assuré une très grosse heure de thrash sanglant, sans répit ni concession. 

Nous n'en avions cependant pas assez : abasourdis, sonnés, groggys et quasi exsangues, nous rampons jusqu'à la Valley assister au show tellurique d'ELECTRIC WIZARD. C'est bien simple, si d'aventureux spéléologues parvenaient à placer des micros le long des plaques tectoniques les plus sensibles, voilà donc ce que donnerait le résultat lors du chaos : sourd, sombre, assourdissant, infernal. Voilà peut-être bien, plus que quiconque, le groupe personnifiant le mieux l'Enfer pendant sa fête la plus bruyante. Quatre freaks adeptes de satanisme, de sexe sale, d'amphétamines, de haschisch, de méthadone, de films de la Hammer en VHS exclusivement, de vinyles de BLACK SABBATH, de BLACK WIDOW, de COVEN et de SAINT VITUS, profondément mauvais et misanthropes, façonnant dans un vacarme assourdissant ce que le sludge et le doom peuvent représenter de plus effrayant. Hypnotique et lancinant, leur mantra occult-metal s'érige au sommet d'un mur du son douloureux : opaque, lourde et oppressante, la sono est une véritable forteresse, et les victimes ne peuvent résister - "Black Mass" est une machine à broyer de l'humain, du metal psychédélique bas-du-front et passé au hachoir, space-rock brutal au pays des trous noirs. 
Derrière, l'envie d'aller voir KVELERTAK est là, mais l'on est découragé : SLAYER et ELECTRIC WIZARD nous ont vidés de toute notre énergie et se frayer un chemin à travers la foule dense de la Warzone est un insurmontable obstacle pour nous. Deux chansons vues de leur meilleur profil et nos membres inférieurs nous lâchent, pendant que le cortex cérébral se calcine comme un vulgaire toast - ça y est, on est cramé. Hellfest 1, JC zéro. 
Ah et puis flûte - on est plus tout jeune !!! Come on : après Omaha Beach suivi de Verdun dans la chaleur du Vietnam, peut-on décemment repartir à la guerre ?


(Photos © Hard Force / Ludovic Fabre • Fred Moocher • Rafaël Lobejon - DR)

Mon Enfer - Part.2
Mon Enfer - Part.3

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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