1 mai 2024, 19:01

WHEEL

"Charismatic Leaders"

Album : Charismatic Leaders

Après deux albums ultra qualitatifs et acclamés tant par les fans que par la critique (« Moving Backwards » en 2019 et « Resident Human » en 2021), le groupe anglo-finlandais de metal progressif WHEEL revient avec son troisième album, « Charismatic Leaders ». Férus de polyrythmies et d’harmonies complexes, les trois musiciens (James Lascelles - chant et guitare, Jussi Turunen - guitare et Santeri Saksala - batterie) n’ont jamais versé dans la facilité et plusieurs écoutes sont nécessaires pour rentrer pleinement dans leur univers musical.

C’est d’autant plus vrai avec ce « Charismatic Leaders » qui, contrairement aux deux précédents, ne recèle pas de ligne vocale accrocheuse pouvant servir de fil conducteur, comme cela a été le cas par le passé. Néanmoins, cela n’empêche pas les compositions d’être intéressantes par leur foisonnement et leur richesse, mais l’auditeur doit s’investir pleinement pour en découvrir les multiples subtilités. Les mélodies, pourtant bien présentes, se laissent apprivoiser graduellement. Nul doute que les fans de metal progressif feront cet effort tant la musique du trio s’avère porteuse de mille nuances et se dévoile au fil du temps. On se promène tout du long entre les attaques directes et frontales typiques de « Moving Backwards » ("Empire", "Submission") et les ambiances planantes et éthérées présentes sur « Resident Human » ("Porcelain", "The Freeze", précédé de son intro acoustique "Caught In The Afterglow", toute en légèreté).

Le ton général est cependant plus agressif et heavy, et l’on y trouve même des relents grunge, notamment sur "Saboteur" et son refrain qui fait immanquablement penser à celui du "Piece Of Pie" de STONE TEMPLE PILOTS. Ne vous fiez pas aux tempos lents et pesants, car la colère gronde sous le calme apparent. James Lascelles, principal compositeur du groupe, porte un regard sans complaisance sur les politiciens avides, les hommes de pouvoir et leur ego démesuré (Rupert Murdoch, magnat des médias étant directement visé sur "Empire"), qui ont amené ce monde dans un état de dégénérescence avancé. Non seulement en charge du chant et d’une partie des guitares, le frontman a aussi enregistré les lignes de basse, suite au départ de leur précédent bassiste, Aki "Conan" Virta. Ce n’est d’ailleurs pas le premier changement de la sorte auquel le groupe a dû faire face, et c’est la raison pour laquelle ils évoluent en trio sur ce disque, en attendant de retrouver un membre permanent officiel au poste laissé vacant.

La section rythmique est époustouflante et Santeri Saksala est un batteur extraordinaire, tant dans son subtil jeu de cymbales que dans ses descentes de toms galopantes et sa faculté à faire monter la tension au cours d’un morceau (le final dantesque de "The Freeze" laisse pantois !). On admire également le travail de composition des musiciens dans la structure complexe des morceaux et dans les changements de rythmes qui développent des ambiances bien particulières. Tel est effectivement le maître-mot. Le trio excelle dans la création d’ambiances, tantôt planantes ("Porcelain"), tantôt rampantes et menaçantes ("Saboteur", "Disciple"), tantôt agressives et colériques (les percutants "Empire" et "Submission") ou bien encore empreintes de mélancolie et d’une certaine fatalité, voire d’un sentiment d’impuissance totale, comme sur "The Freeze", encore, avec ces mots poignants : « What did you hope to find? Earth below, youth behind. Out of sight, out of mind. Making another compromise. » ("Qu'espérais-tu trouver ? La terre en dessous, la jeunesse derrière. Loin des yeux, loin du cœur. Faire un autre compromis").

La voix de James Lascelles est essentiellement douce et claire, mais laisse aussi exploser sa rage ponctuellement comme sur l’outro de "Empire" qui casse brutalement le rythme pour un rendu à la violence décuplée : « You’ll reap what you sow » ("Tu récolteras ce que tu as semé"). Là encore, le frontman fait surgir des émotions, parfois contradictoires, entre désespoir et mélancolie, hésitations et déchirements internes, sentiment d’impuissance, colère et révolte... Le fond est sombre, la lumière perce peu et lorsqu’elle surgit ("Porcelain"), elle est fragile, comme la lueur blafarde d’un ciel d’hiver. « In a different light we'd shatter like porcelain. In the wake of change, in a different time, we'd crumble and blow away. And answer for all our sins. » ("Sous une lumière différente, nous nous briserions comme de la porcelaine. Dans le sillage du changement, dans un autre temps, nous nous effondrerions et nous nous disperserions. Et répondrions de tous nos péchés"). Le bilan est accablant, la réalité cruelle, l’avenir incertain. WHEEL transpose en musique les angoisses de ce monde qui semble devenir de plus en plus creux et vide de sens, à l’image du globe percé de mille trous ornant sa pochette. Les dernières notes de "The Freeze" laissent un sentiment d’infinie tristesse. Noir, certes, mais pas dépressif pour autant. Juste un constat froid, implacable et sans complaisance sur l’humanité telle qu’elle a toujours été.

Aussi à l’aise sur les formats courts que sur les longs développements, WHEEL livre avec « Charismatic Leaders » son album le plus pointu à ce jour, le plus sombre et le plus heavy aussi. Enregistré et coproduit par Daniel Bergstrand et Fredrik Thordendal, le guitariste de MESHUGGAH, et mixé par Forrester Savell, le son est résolument moderne et les attaques incisives. Les guitares de Jussi Turunen et James Lascelles, ainsi que la basse, sont ainsi particulièrement bien mises en avant, ce qui permet d’en apprécier pleinement les moindres reliefs, les pleins et déliés, les contours et détours de ce paysage torturé. « Charismatic Leaders » n’est pas un album immédiat. Il doit s’apprivoiser lentement, mais sûrement, mais une fois rentré dans son monde, il se révèle fascinant de maîtrise et de créativité, et l’on y revient sans cesse afin d’y plonger un peu plus profondément encore. Un grand album !

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
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