27 janvier 2020, 19:57

METALLICA

• La vidéo de "One" a 31 ans


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20 janvier 1989. Après avoir résisté, presque six années durant, au diktat de la toute-puissante chaîne américaine MTV qui, à l'époque, fait la pluie et le beau temps en matière de succès en programmant (ou pas) des clips, METALLICA saute le pas et sort sa première vidéo, "One". Forts de quatre albums, James Hetfield, Lars Ulrich et Kirk Hammett, rejoints depuis octobre 1986 par Jason Newsted, remplaçant du regretté Cliff Burton décédé un mois plus tôt, ont jusque-là uniquement compté sur le bouche-à-oreille et les concerts, encore et toujours, dans les coins les plus reculés de la planète pour rallier les metalheads à leur cause. 

A l'époque, pas d'Internet, pas de réseaux sociaux, pas de smartphones non plus et c'est grâce au cycle infernal album-tournée-album-tournée, ad lib, qu'un groupe établit et développe sa fanbase. Et aux magazines spécialisés aussi, qui transmettent la bonne parole via interviews, comptes-rendus de concerts et photos. C'est sans doute son côté entier qui, par-delà sa musique, fera de METALLICA un groupe à part dans le cœur des fans. Qui établit ses propres règles, sans dieu ni maître.

Pourtant, en raison du succès remporté par « Master Of Puppets » (1986), troisième album et dernier avec Cliff, qui a réalisé le tour de force de dépasser les 500 000 ventes aux USA sans le soutien d'aucun grand média, les thrashers ont franchi un cap en termes de notoriété et se doivent d'aller de l'avant sous peine de stagner. Difficile dans ces conditions de continuer à boycotter les vidéos. Alors ils se jettent non pas dans le feu mais dans le grand bain, METALLICA style. Car pour cette grande première, ils n'ont pas choisi la facilité. Après "Harvester Of Sorrow", puis "Eye Of The Beholder", le groupe a en effet porté son dévolu sur les 7 minutes 24 du magistral "One", qui sera le dernier single extrait de « …And Justice For All », son quatrième album avec ses morceaux à tiroirs, sorti en août 1988. Une chanson qui demeure, 31 ans plus tard, la quintessence même de ce que l'on aime dans le groupe et certainement leur titre le plus emblématique, ambiance "et s'il ne devait en rester qu'un" (c'est le cas de le dire).

« Pendant la composition de « Master Of Puppets », James s'est demandé : "Que se passerait-il si quelqu'un, un cas désespéré, se retrouvait dans une situation où il est conscient mais incapable de communiquer avec les gens qui l'entourent ?". S'il n'avait plus ni bras ni jambes, s'il était aveugle, sourd et muet ? »​ racontera par la suite Lars pour expliquer la genèse de "One". Deux ans plus tard, à l'heure de composer ce qui deviendra « …And Justice For All », qui sera enregistré... aux One On One Studios, leurs managers leur conseillent de regarder Johnny Got His Gun (Johnny s'en va-t-en guerre en VF) après que James a évoqué avec eux le sujet de la chanson qui présente d'étonnantes similarités avec ce film. Les lyrics de "One", écrits à la première personne, suivant au plus près les pensées de Joe Bonham, héros malheureux du roman de Donald Trumbo qui portera son pamphlet antimilitariste sur grand écran en 1971, trois décennies après l'avoir écrit, on peut supposer que le chanteur les a affinés après avoir vu le film.

On suit l'histoire bouleversante de ce jeune Américain idéaliste, parti au front pendant la Première Guerre mondiale et grièvement blessé par l'explosion d'un obus. Défiguré, sourd, aveugle et muet, il sera amputé des quatre membres par les médecins qui ignorent alors que cet homme-tronc est parfaitement conscient de son état (« Nourri par la sonde fichée dans mon corps/ comme un gadget de temps de guerre/ Relié aux machines qui me font vivre/ Coupez-les »). Pour ne pas devenir fou, Johnny tente de se souvenir des moments heureux de sa vie (les images en couleurs où il se revoit avec son père ou celle qu'il aime) par opposition à l'enfer dans lequel il vit, en noir et blanc (« Je retiens ma respiration en espérant la mort/ Oh s'il te plaît, Dieu, réveille-moi »). Et, pour se faire comprendre des infirmières, il ne peut que bouger sa tête sur l'oreiller pour communiquer en morse. En répétant à l'infini : « Kill me », « Tuez-moi ». Ce que l'une d'entre elles essaiera de faire pour mettre fin à son calvaire, les docteurs étant, eux, bien trop intéressés par ce surprenant cas d'école pour lui permettre d'en finir… (« Les ténèbres m'emprisonnent/ Je ne vois rien d'autre/ Horreur absolue/ Je ne peux pas vivre/ Je ne peux pas mourir/ Piégé en moi-même/ Mon corps est ma cellule/ Une mine a emporté ma vue/ a emporté ma voix/ a emporté mon ouïe/ a emporté mes bras/ a emporté mes jambes/ a emporté mon âme/ Je vis désormais en enfer ») scande Hetfield sur fond de riffs aux airs de mitrailleuse. 

James a vraisemblablement puisé l'inspiration du titre du morceau dans le passage suivant du roman de Trumbo : « How could a man lose as much of himself as I have and still live? When a man buys a lottery ticket you never expect him to win because it’s a million to one shot. But if he does win, you’ll believe it because one in a million still leaves one. If I’d read about a guy like me in the paper I wouldn’t believe it, cos it’s a million to one. But a million to ONE always leaves one. I’d never expect it to happen to me because the odds of it happening are a million to one. But a million to one always leaves one. One. » 
Qui peut se traduire par quelque chose comme : « Comment un homme peut-il perdre autant de lui-même que moi et continuer à vivre ? Quand quelqu'un achète un ticket de loterie, on ne s'attend jamais à ce qu'il gagne parce qu'il a une chance sur un million. Mais s'il gagne, on y croira parce que dans "une chance sur un million", il y a "une". Si j'entendais parler de quelqu'un comme moi dans un journal, je n'y croirais pas parce qu'il y a une chance sur un million pour que cela arrive. Mais dans UNE CHANCE sur un million, il y a toujours "une". Je n'aurais jamais imaginé que cela puisse m'arriver parce que la probabilité est d'une sur un million. Mais dans UNE CHANCE sur un million, il y a toujours "une". Une. »

Sorti en pleine guerre du Vietnam, Johnny s'en va-t-en guerre se verra décerner le Grand prix spécial du jury au festival de Cannes et gagnera ses galons d'œuvre majeure pour dénoncer l'horreur et l'absurdité de la guerre, tandis que le livre sera lu dans les meetings pacifistes. Une victoire d'autant plus grande pour Donald Trumbo qu'il a été victime du maccarthysme dans les années 1940 et 1950 outre-Atlantique, accusé qu'il était d'être communiste, ce qui l'a empêché d'exercer son métier, son nom figurant sur la liste des "Dix d'Hollywood" soupçonnés d'activités et sympathies anti-américaines… C'est toutefois grâce à la vidéo des Hommes en Noir que Johnny s'en va-t-en guerre, dont ils ont acquis les droits, gagnera ses galons de film culte.

Il existe deux versions de la vidéo réalisée par Bill Pope (qui sera par la suite directeur de la photographie sur Evil Dead 3 - L'Armée des Ténèbres et la trilogie Matrix) et Michael Salomon (qui réalisera Live Shit - Binge & Purge, Seattle). La plus connue, longue de 7 mn 24, alterne extraits du film et images du groupe filmé en plan serré en train de jouer dans un hangar. Et la seconde, plus courte, où seuls apparaissent les quatre hommes. Elles figureront sur 2 Of One, VHS (comprendre “cassette vidéo” pour les plus jeunes), qui sortira le 1er juillet 1990, ainsi que sur The Videos 1989-2004, DVD commercialisé en 2006 qui regroupe les clips de METALLICA.

Contre toute attente, ce chef-d'œuvre de noirceur se classera n° 1 des vidéos sur MTV dans sa version longue, tandis que le morceau grimpera jusqu'à la 35e place du top américain, donnant au passage une nouvelle définition au terme "hit" single. L'histoire était en marche… Mais qui aurait alors pu imaginer que, 27 ans plus tard, METALLICA sortirait en moins de 24 heures une vidéo pour chacun des 12 titres de son dixième album studio, « Hardwired… To Self-Destruct » ? Ni les fans, ni le groupe.
Quoi qu'il en soit, qu'on l'ait découvert à sa sortie ou plus tard, "One" ne laisse personne indifférent et nombreux sont ceux qui se souviennent encore de leur réaction ce jour-là devant ce clip dérangeant car viscéral. Ce coup de poing. Comme, à l'époque, la musique des Hommes en Noir qui, tout en répondant à ce que l'on attendait d'eux – une vidéo –, ont su s'imposer durablement dans l'esprit des fans, et des autres. METALLICA style.
 


La "Jammin' Version"
 

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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